Dans sa quête des mécanismes du caractère humain autant que dans son exploration des cinémas du monde, Danny Boyle adapte Q and A, roman de Vikas Swarup, et se frotte au marché indien plus qu’aux codes de Bollywood pour livrer une romance universelle autant qu’extraordinaire, sur un fond de misère jamais dénaturée ni envahissante, sans verser dans le pathétique mais, au contraire, en captant



un optimisme rare et une générosité entière.



De la bienveillance malgré les haines, de l’amour au-delà des obstacles.


Si le scénario et son découpage en va-et-vient sur différentes époques empêchent le cinéaste de tenter trop d’expérimentations nouvelles dans ce film, Danny Boyle laisse malgré tout sa patte formelle, et ce comme d’habitude dès l’ouverture avec une voix-off féminine pour nous emmener à la rencontre de Jamal Malik sous forme de question télévisée entre le plateau et les paillettes de Qui veut Gagner des Millions ? et les claques dans le sous-sol moite du poste de police local, suant et puant, désagréable et étouffant. Soupçonné d’avoir triché pour se hisser jusqu’à la question à vingt millions, Jamal ne cherche pourtant pas la fortune mais son amour perdu. Attentif à la cohérence d’ensemble de son film comme de ses œuvres, le réalisateur se sert toujours d’une excellent bande-son pour rythmer d’émotions le récit. Sans ces grands effets de style qui parfois déroutent un certain public,



le montage simple et dynamique va à l’essentiel,



ne perd jamais de temps et entraîne avec naturel la fluidité du récit d’une séquence à l’autre. Le petit reproche formel qui subsiste, ce sera le regret de n’avoir su placer de folle et impressionnante séquence de danse au cœur de la narration quand il tourne à Bollywood, sans pour autant s’en priver : celle-ci se retrouve sur le générique de fin, avec nettement moins d’exigence et de budget que celles du cinéma local, mais visiblement beaucoup de plaisir. Slumdog Millionaire bénéficie d’une



mise en scène magistrale, au millimètre.



Jamal n’a pas triché : les réponses aux questions il les connait pour des raisons particulières et chacune nous ramène aux souvenirs de son enfance mouvementée, miséreuse et parfois dramatique mais jamais triste tant il est porté par l’amour qu’il voue à Latika et l’espoir fou, puissant, de lendemains heureux. Le procédé narratif en constants allers-retours offre un regard décalé, double, sur le personnage ici à l’étude, et permet de raconter la courte existence insalubre et insolente de ce jeune débrouillard forgé à l’école de la rue et protégé par un cœur bon tout en justifiant son état d’esprit présent, face à l’inspecteur de police autant que face au présentateur du jeu télévisé. Des émeutes religieuses de son enfance, mort de sa mère et rencontre de Latika alors qu’ils n’ont que cinq ou six ans, au poste de porteur de thé qui assure son quotidien modeste, en passant par un camp d’enfants exploités, mutilés, la fuite et la liberté des voyages sur les toits des trains à travers l’Inde et jusqu’au Taj Mahal, la richesse intellectuelle de l’adolescent se construit dans ses relations à l’autre, et dans tous les déséquilibres sociétaux, injustes, dont il est le témoin. De son cœur ouvert il ne peut, et ne pourra jamais que compatir avec les opprimés, et haïr les mafieux, les parvenus et tous ceux qui se sentent supérieurs à leurs semblables modestes.



L’argent et les femmes, les deux raisons pour lesquelles on fait
le plus de bêtises dans la vie !



Obstination de l’amour, force de caractère, Dev Patel incarne un Jamal adulte aussi intransigeant avec lui-même et son frère qu’il sait être patient avec le présentateur imbuvable et hautain – très bon Anil Kapoor – ou avec l’inspecteur de police méfiant et curieux – le grand et excellent Irrfan Khan – qui l’interrogent chacun leur tour.
La somme des horreurs d’une vie peut malgré tout devenir



un chemin vers le bonheur.



Avec une belle gestion du récit et des émotions, Danny Boyle signe là son film le plus simple, le plus abordable peut-être, et le plus romantique, sans oublier de s’intéresser de près aux solides motivations, simples, pures, d’un personnage hors norme de par sa bonté un peu naïve. Obnubilé par l’amour quand la faim le ronge ou le danger le guette, l’exemple du cœur des hommes qui bat et pose des œillères alors sur tout ce qui est extérieur à l’objet de leur émoi, voilà ce qui filme l’écossais. Comme souvent. L’amour au cœur, cette volonté qui déplace des montagnes pour aplanir devant soi le chemin,



une force humaine universelle.


Matthieu_Marsan-Bach
8

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Créée

le 15 janv. 2017

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