SNOW THERAPY commence par une scène étrange qui contient pourtant tout les thèmes du film : une famille, visiblement étrangère, se fait haranguer par un photographe touristique.
S'ensuit une véritable mise-en-scène d'un instant de bonheur familial. Le photographe touristique, "réalisateur", est hors champ. On n'entend que son agaçante voix, à l'accent anglais dégueulasse... Sa voix donnera pourtant des ordres très précis à la famille (qui nous fait face)... Lui intimant de se rassembler, de sourire, de poser. Le tout est filmé par une caméra d'une fixité insupportable, installant une forme d'humour dérangeant car froid et distant. Famille, mise en scène, son, mouvement, cadre fixe, trouble.


Cela nous a instantanément rappelé Ulrich Seidl, qui récemment avait porté le même genre de regard glaçant sur la femme Autrichienne (et son pays), dans sa trilogie Paradis.


Mais à la différence de Seidl, Ruben Östlund laisse deux portes d'entrée au spectateur.
La première est à double tranchant, puisque fonction de l'empathie envers cette famille suédoise.


PHOTOS : 4 instants familiaux, dans SNOW THERAPY


Car les personnages centraux (trente-quarantenaires, pères/mères de famille) de SNOW THERAPY possèdent ce vécu et cette expérience qui ne seront ni explicités, ni remis en question.
Le point de départ du film est donc admis comme mature et expérimenté - je ne sais honnêtement pas si l'on peut comprendre ces interrogations lorsque l'on ne possède pas un minimum de recul sur l'existence. L'accessibilité à SNOW THERAPY m'a paru limitée à ceux ayant de près ou de loin approché ces troubles très précis. J'ai eu l'impression d'un film trop personnel, trop cathartique pour son propre bien...


"Une mise en scène de très haut niveau, au service d'un glaçant essai sur le couple, la famille, la morale."


Quoi qu'il en soit, je me suis beaucoup reconnu dans cette famille. Étant moi-même marié/père de deux enfants, la question posée quant à l'instinct a eu une résonance immédiate chez moi. Que ferais-je dans la même situation ? Ruben Östlund donne à son histoire une sorte de portée universelle malgré l'apparente fermeture culturelle. La parole est de plus donnée à suffisamment de personnages pour proposer une vision exhaustive de ces rapports à la famille et au couple.


D'abord tournant autour de la lâcheté de l'homme, le débat s'ouvre progressivement sur la notion de façade-heureuse-obligatoire dans une famille, la place de la femme au sein du couple, la transmission de valeurs (d'honneur et de genre, notamment) l'importance à donner aux enfants, à la carrière, à la liberté individuelle, et en sourdine, à la place de l'amour dans le couple (et accessoirement dans la famille).


Ces questionnements sont par ailleurs, eux-mêmes mis en scène par Ruben Östlund de façon patiente et méthodique. Le réalisateur installe une routine, puis vient briser cette routine à l'aide de mouvements mis consciencieusement en place. Ces mêmes mouvements déclencheront d'abord des émotions, puis des interrogations de la part des personnages, puis, petit à petit, un parcours psychologique à tendance négative qui donne sens au titre Snow Therapy.
Ce qui nous amène à l'autre porte d'entrée dans le film, beaucoup plus ouverte et accessible : la mise en scène.


PHOTO : SNOW THERAPY


Chaque plan, chaque scène du film est construit sur le même genre de schéma : Ruben Östlund fixe sa caméra ; il compose ensuite son cadre par de nombreux éléments fixes (personnages compris) et remplit l’espace de façon assez symétrique. Cela crée sans cesse une impression de reflet, physique (l’image se reflète sur elle même), et psychologique (l’écran de cinéma, comme reflet de la réalité). Le plus important toutefois, reste la notion de mouvement. Rare, mais décisif, surprenant et intense, le mouvement est toujours mis en contraste avec la fixité du cadre. Il s’agit parfois d’un cas de force majeure - l’excellent titre international abandonné aux lois de l’accessibilité - parfois d’un mouvement mécanique hors cadre (la caméra), ou dans le cadre (un tapis roulant par exemple). Parfois encore, le mouvement est intentionnel, venant d’un personnage.


Ruben Östlund parvient même à faire du son, un personnage à part entière. Un personnage qui lui aussi crée du mouvement (alors que visuellement, c’est sensé être l’inverse !) et qui servira ainsi de catalyseur ou d’inhibiteur aux situations. Rendre palpable et physique une notion abstraite est une caractéristique que nous apprécions particulièrement au cinéma !
On pense ici, à Terrence Malick ou Naomi Kawase, parvenant à donner une humeur et une présence à la nature.


Enfin, dans le cas des deux dernières scènes (phénoménales), il s'agira d'un mouvement "statique" et d'un mouvement "mouvant". Vous en saurez plus lorsque vous verrez le film - je vous conseille également de vous préservez de toute bande-annonce, pour renforcer cet élément de surprise lié au mouvement.
Car Ruben Östlund propose par cette mise en scène du mouvement, une forme de ludisme stimulant à l'intention du spectateur : quels évènements risquent de bouleverser la routine installée ? Quel en sera l' impact psychologique ? Car ce mouvement provoquera toujours une émotion (colère, lâcheté, surprise, pitié, compassion, espoir, abandon...) qui elle même aura un reflet dans les questionnements que se poseront les personnages.


Ce mouvement à l'intérieur d'un cadre fixe, comme déclencheur d'évènements psychologiques est une mise-en-scène très forte qui permet à SNOW THERAPY de compenser le manque d'accessibilité relatif de son propos.
Au final, le film apparaît comme très complexe, tant formellement que psychologiquement. Fascinant et passionnant.


Georgeslechameau, pour Le Blog du Cinéma

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le 27 janv. 2015

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