Les Arcs, Savoie. Un couple de suédois relativement aisé, accompagné de leurs deux enfants, sont venue passer cinq jours de séjour sportif, exaltant et ressourçant dans un hôtel de luxe aux pieds des pistes de ski. Cinq jours à l’écart, entre le repos et la glisse, bientôt perturbés par un évènement improbable, à la fois majeur et anodin : Alors qu’ils sont sur le point de manger sur une terrasse d’altitude avec vue sur le domaine skiable, une avalanche déclenchée, mais colossale, fonce droit sur eux, disparait avant de les ensevelir, les laissant dans un climat d’angoisse brumeux, qui se dissipe finalement. J’y reviens.

Le film est rythmé par le fonctionnement des téléskis, télésièges et autres remontées mécaniques, créant une ambiance singulière qui n’appartient qu’aux stations de ski. J’ai toujours été fasciné par ce climat sonore imposant. Le film est aussi marqué par un certain ordonnancement, un sentiment décisif, fataliste, post Hanekien. C’est une expérience à détonateurs : Une avalanche dans un décor, un aveu lors d’un diner. Au climat résolument aérien qui rythme la première journée de glisse, entre ces pistes immenses et ces remontées mécaniques désertes, que l’on caresse au gré d’une balade envoutante, répond une forme beaucoup moins aléatoire, sévère construction chapitrale agrémentée régulièrement par le Presto de L’été de Vivaldi. Le procédé est grossier sur le papier mais le film l’utilise à merveille, déjà parce que le morceau n’accompagne rien, aussi parce qu’il marque le début ou la fin d’une journée, placardé derrière un brossage de dents ou enveloppant les quelques plans qui dévoilent l’immensité dévorante de la station.

La première séquence du film est un hommage explicite (mais peut-être pas si volontaire) à un film de Alex Van Warmerdam, Les habitants, lequel s’ouvrait de façon similaire sur une photo de famille que l’on shootait à plusieurs reprises et qui se retrouvait scène suivante sur le panneau publicitaire d’un nouveau quartier. Il s’agissait de modèles. Snow therapy s’ouvre aussi sur une photo de famille, prise sur les pistes de ski, par un professionnel, de celles qui nous coutent un bras lorsque l’on veut les récupérer en boutique. Il faut poser comme ci, sourire comme ça, c’est kitch et ridicule. D’emblée le film est traversé par un humour bien à lui, un burlesque au tragique sous-jacent. Les clichés seront visibles en fin de journée, éternels témoins d’un bonheur familial en montagne, instantanés qui seront probablement plus tard placardés au-dessus d’une cheminée, afin que tout le monde puisse profiter de cette image de bonheur trafiqué.

La grande idée de Snow therapy (d’abord baptisé Force majeure, allez comprendre le pourquoi du comment…) est d’avoir opté pour une variation conjugale et familiale au départ d’un seul évènement qui engage un seul geste, qui bouleverse absolument tout. Une scène, celle de mon photogramme, qui est aussi celle de l’affiche, sublime mais tellement attendue qu’elle en est déceptive dans son déroulé, forme pourtant le socle de tout le film, ce sur quoi il s’embrase, non pas en tant que film à catastrophe naturelle mais film à cataclysme conjugal. Ce sur quoi le couple ne se relève pas. Une simple avalanche. Un peu plus qu’une simple avalanche – l’effet spécial est par ailleurs très réussi. Et le plan unique en question (Soleil/Blizzard/Soleil) est une absolue merveille.

Une deuxième journée de ski bien perturbante, on l’imagine, qui va contaminer les jours suivants mais pas forcément comme on l’attendait. Les dommages ne sont pas visibles, pourtant toute l’unité familiale est mise à mal. Ils skiaient ensemble, faisaient la sieste ensemble. Et ce n’est plus le cas. La mère a d’ailleurs pris une journée de glisse pour elle seule. A l’image du Liberté Oléron de Podalydès, les vacances deviennent un inévitable terrain de conflits. Et si Snow therapy s’avère nettement plus grave, les pointes d’humour typiquement suédoises ne manquent pas de bouleverser la teneur du récit. Et le film regorge alors de situations folles, toutes plus inattendues et dérangeantes les unes que les autres, souvent emballées dans une longueur de plan nous conviant forcément au malaise. Qu’il s’attarde sur un éprouvant diner, le drone d’un enfant survolant façon soucoupe volante la station dans une nuit surréaliste, séquence sublime et énigmatique – j’entendais dans la salle de nombreux « C’est quoi ce truc ? » je pense que certains ont soudainement cru que les extraterrestre allaient débarquer – ou les pleurs improbables d’un mari défait. Et je ne vais pas m’attarder sur cette séquence finale de bus dans les lacets. Idée de génie ! Le film est continuellement traversé par des éléments perturbateurs exagérés, d’étranges personnages (l’homme de ménage) ou une ambiance inhabituelle, à l’image de ce progressif enfouissement dans le brouillard (le film s’enlisant même avant son sublime épilogue dans le blanc le plus écarlate) ou de ces explosions provenant des détonateurs artificiels d’avalanche. Il y en a tellement que ça devient un gag, mais un gag un peu macabre, dérangeant.

A la différence d’un Farhadi qui travaille lui aussi les engrenages des rapports humains, selon une mécanique savamment huilée, Östlund progresse à l’envers des canons mélodramatiques, en agrémentant les fissures avec une étrange dynamique, parfois même avec rien. Un rien qui s’amplifie durablement, sans que l’on en saisisse la portée, sans que l’on en soit soudainement dévasté. Simplement en nous aspirant dans son tourbillon. On n’évite cela dit pas toujours les postures d’auteur scandinave, à l’image d’interminables plans fixes proche de la pose, notamment dans leur découpe interne, ainsi qu’un appui un peu inutile de scènes malaisantes et forcément métaphoriques comme le faux plan drague. Mais comme souvent tout est dynamité dès la scène suivante, ce n’est pas gênant. A l’image du second couple qui est l’incarnation de nos sentiments de spectateur, le récit interroge intelligemment les conventions sociales, morales et familiales, ainsi que la dimension héroïque convoitée, dans les films comme dans la vie de manière générale, la protection des siens face à l’élémentaire instinct de survie, les notions de courage et de lâcheté. C’est assez passionnant de voir le cinéaste bouleverser à ce point les codes des films conjugaux et catastrophes à la fois.

C’est à mes yeux d’ores et déjà l’un des hauts faits de l’année. C’est un film qui m’a complètement retourné. Avec ce cadre infiniment majestueux et tragique à la fois. En fait, je crois que je rêvais de voir un film de cette trempe sur une décomposition conjugale en montagne. Une avalanche d’imprévus, s’attaquant à l’occidental moderne, dans ce qu’il renferme de plus solitaire, idéaliste, désorienté et contradictoire. Franchement, je serais prêt à y retourner.
JanosValuska
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le 7 févr. 2015

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