Snowpiercer - Le Transperceneige par Enlak
Dans une nouvelle ère glaciaire, les derniers survivants de l’humanité sont réfugiés dans un train en perpétuel mouvement. Le pitch détient déjà une certaine incohérence, comment en effet concevoir une telle façon de survivre si inconcevable? Ensuite, c’est un réalisateur coréen, qui s’attarde sur une BD française, un curieux mélange donc. Qu’allait donc donner ce film ?
Explications sur l’ère glaciaire. Pour combattre le réchauffement climatique devenu insoutenable, les gouvernements ont misé sur une solution de grande ampleur : refroidir artificiellement l’atmosphère. Mais le remède s’est avéré pire que le mal et a entrainé un refroidissement radicale ayant entraîné la chute de l’humanité et de la (sois disant) totalité des formes de vie. J’aimerais faire une parenthèse pour parler de ce type de solution appelé géoingéniérie. Des solutions sur lesquelles planchent très sérieusement des scientifiques, malgré la conscience des risques d’emballement imprévu du climat, mais que le réchauffement climatique risque de rendre de plus en plus tentantes à mesure que ses effets s’accentueront. Un monde post-apocalyptique qui n’est donc pas si improbable.
Dans les premiers instants du film, je fus plutôt mitigé. Passé l’acceptation de l’incohérence inhérente au scénario, certaines scènes m’ont paru étranges, avec des tentatives d’humour qui ratent leur effet. Les réactions des passagers riches à l’avant du train lors de l’arrivée des rebelles mené par Curtis (Chris Evans, méconnaissable Captain america) semblaient peu crédibles. De même que la représentante de l’avant du train, ignoble femme escortant les pauvres à rester à leur place parce que c’est dans l’ordre des choses, paraissait trop exagérée pour être vraie. Un constat toutefois, la réalisation et certaines scènes (réactions des personnages) se détachent nettement des habituels productions américaines, comme la bataille à l’arme blanche contre les soldats cagoulés, parsemés de ralentit habillement exploités. N’ayant pas lu la BD (la médiathèque ayant décidé de ne pas l’avoir…), je ne peux malheureusement distinguer ce qui provient du format papier ou des choix du réalisateur coréen, même si la mise en scène originale lui revient amplement.
Un premier rebondissement vient interrompre l’avancée des rebelles. Les morts s’enchaînent parmi les alliés de Curtis, y compris ceux que l’on s’imaginait survivre. Ce ne sont pas juste quelques pertes pour assurer une dose d’émotion mais un véritable massacre auquel l’on assiste.
Durant la traversée du train, on découvre une société décadente, des riches déconnectés de la réalité, drogués, meurtriers et sans scrupules, conditionnés dés l’enfance. Le fondateur du train et garant de la survie de l’humanité, Wilford, est érigé en divinité sacrée. Mais les pauvres en bout du train ne sont pas en reste non plus. Poussés par la faim ou les envies de libertés, la violence est loin de leur être étrangère. Il ne s’agit donc pas de héros justiciers tout blancs en guerre contre les méchants oppresseurs, mais d’humains faillibles et soumis à leurs propres démons. Curtis, le leadeur, a lui aussi commis sa part d’actes innommables, et pas ceux du genre aisément pardonnables avec des circonstances atténuantes. Et c’est bien le constat dérangeant qui s’établit tout au long du passage des wagons, celle des restes d’une humanité décadente pour laquelle on se demande bien si elle vaut la peine de survivre. A la fin du film, lors de la confrontation avec Wilford, ce constat dérangeant s’avère encore plus vrai. Le créateur du train dresse le portrait d’une humanité incapable de vivre sans inégalités, obligée de répartir différemment les richesses pour survivre. Le traitement des inégalités, des pauvres et des riches, séparés cette fois sur l’horizontale et non en vertical, est bien plus approfondie que ce que l’on pouvait craindre, apparaissant bien supérieur à « time out » ou « elysium », assez décevants à ce niveau là.
Un film surprenant sur la forme et intelligent sur le fond.
SPOLIERS sur la fin
Certains ont trouvé le final trop long, mais devant la profondeur les enjeux abordés, la durée se justifie.
Devant cette vérité pénible que lui révèle Wilford, Curtis dans un premier temps ne sait plus quoi penser, prêt à accepter cet état des choses et à arrêter sa rébellion. La révélation sur son mentor a été un coup dur, un mentor qu’il idolâtrait et qui révèle lui aussi une face bien moins idéale. Il a fallu un énième sacrifice au nom du bien de tous (les enfants) pour que sa morale s’insurge devant l’inacceptable. Mais le prix à payer pour son insurrection menée à son terme est lourd, le train contenant le reste de l’humanité déraille en pleines montagnes recouvertes de glaces. Une telle décadence ne pouvait continuer éternellement…
Le final est surprenant, bien loin d’un happy end comme les deux films précités. Seuls deux survivants ont (à ce que l’on voit) réchappés du déraillement, perdus dans un environnement supposé être mortel. Et ce ne sont même pas les « héros » du film auxquels l’on pouvait s’attendre à voir rester en vie à la fin. Parviendront-ils à survivre ? Ou mourront-ils entraînant avec eux la fin d’une espèce qui s’est condamnée elle-même, incapable de vivre ensemble en harmonie et en adéquation avec son environnement ? Le choix est laissé à chacun. Une conclusion très pessimiste et pourtant porteuse d’espoir.