//SPOILERS\\


SnowPiercer est un film de science-fiction post-apocalyptique. L’action se déroule à l’intérieur d’un train conçu pour résister aux changements climatiques mondiaux. Son concepteur, Wilford, est devenu un bienfaiteur auprès de la classe dirigeante tandis qu’il est craint et méprisé par la classe laborieuse vivant en queue de train et fondant ses espoirs sur une hypothétique révolution. Gilliam, une figure respectée au sein de cette classe laborieuse, encourage Curtis et d’autres à se révolter. Curtis quittera ainsi les siens et progressera wagons par wagons tout en découvrant les terribles secrets qu’ils renferment tels que le cannibalisme ou le brainwashing des enfants de la classe dirigeantes. Lorsqu’il atteint finalement l’avant du train, Wilford informe Curtis que lui-même et Gilliam ont fomentés des révolutions depuis des années, collaborant tous les deux afin de réduire la croissance de la population dangereuse pour le système de survie du train. Les voir s’entretuer pour ce qu’ils croient être la plus grande des causes se révèle n’être qu’un moyen de survie pour le système et c’est à Curtis de prendre désormais la place de Wilford.


Cette dystopie repose entièrement sur le concept de la lutte des classes aussi appelé la guerre des classes ce qui dans ce film se voit transposé littéralement. La lutte des classes dans notre monde à nous c’est la tension sociétale entre différentes classes socio-économiques, les inégalités économiques, le partage inégal du pouvoir au sein du gouvernement et des entreprises. Dans le film Wilford entretient une classe dirigeante (ou possédante) décadente vivant dans l’abondance et délivrée de tous soucis du quotidien et à l’inverse ne laisse pratiquement rien à ceux qui vivent à l’arrière du train. Les pauvres vivent surpeuplés dans des espaces exigus, mal entretenus, sans confort, avec le minimum de nourriture et la menace constante d’armes braquées sur eux. Cela peut sembler le scénario du pire le plus caricatural qui soit mais c’est en réalité à travers ces termes les plus simples la parfaite représentation de l’évolution de la guerre des classes depuis l’ère industrielle jusqu’à aujourd’hui. Les pauvres dans ce film qui finissent par se rassembler et s’enthousiasmer d’un changement ramènent à la création des syndicats au 19ème siècle et à leurs combats tout le long de l’ère industrielle. La révolte contre une dictature n’est pas non plus sans rappeler les différentes révolutions qui eurent lieu à travers l’histoire.


C’est un film provocateur, subversif et polémique. Bong Joon-ho dira d’ailleurs que



La science-fiction se prête parfaitement aux questions sur la lutte des classes et les différents types de révolution.



En effet, depuis Metropolis, la science-fiction a été un outil d’expression pour le changement social. Elle offre un moyen efficace de s’interroger à travers de l’action à l’écran et des thèmes qui sont abordables et à ce titre Snowpiercer est peut-être un des meilleurs exemples.


Ainsi le cannibalisme dans le film sert moins à choquer l’audience qu’à nous signifier combien la vie humaine peut se voir dévalorisée. Les pauvres dans ce film manquaient de nourriture et pratiquaient le cannibalisme avant l’industrialisation des protéines humaines. On apprend ainsi que Curtis avait naguère dérobé un bébé afin de le manger mais que Gilliam lui donna son bras en échange de ce dernier. C’est là un enseignement simple et fondamental : Si vous traitez quelqu’un comme un animal alors il finira par se comporter comme tel. Sans pour autant excuser l’attitude de Curtis, lui et les personnes qui vivent à l’arrière du train sont le produit de leur environnement. Tout est fait pour qu’ils se sentent inutiles et à cause de cela leur estime pour la vie humaine s’abaisse à celle qu’il porte pour eux-mêmes : inexistante.


Snowpiercer est-il un film anticapitaliste ? A ce sujet Bong Joon-ho expliquera assez clairement



J’apporte un commentaire social dans tous mes films et dans le contexte de la science-fiction l’analogie se voit plus directe, ouverte et les idées portent sur le Capitalisme, ce qui parle à tout le monde et pas seulement en Corée du Sud.



Dans une autre interview il indique que ce ne sont pas les humains qui détruisent l’environnement mais le Capitalisme à travers la dérégulation des entreprises. A ce sujet le théoricien marxiste Fredric Jameson fera cette remarque :



Il nous est désormais plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du Capitalisme.



Que le réalisateur connait cette citation ou non, ce sont des mots qui se retrouvent portées à l’écran à travers son film. Le monde a prit fin mais pas la cupidité et les inégalités socio-économiques entre les humains. Le Capitalisme survit à l’apocalypse.


Snowpiercer est profondément politisé. Le personnage de Mason défend son point de vue sur la nécessité d’une société de castes après l’apocalypse. On peut la comparer à une figure contemporaine tel que Ayn Rand à la fois part son apparence physique mais surtout parce que dans son livre le plus connu, Atlas Shrugged, l’action se déroule dans les chemins de fer et qu’il y est question d’une classe « supérieure » d’entrepreneurs et de sachants qui feraient avancer le monde. La scène du film avec la chaussure que se voit jetée est un parallèle évident avec celle jetée contre George W Bush en Irak. Snowpiercer pose directement la question de l’environnement dans son prologue où l’on apprend que le réchauffement climatique était devenu une telle menace pour les hommes que dans un dernier effort pour empêcher la planète de devenir inhabitable, la méthode se retourna contre eux-mêmes et accéléra le processus les ramenant à l'Âge de glace. Sachant l’opinion de Bong Joon-ho sur l’impact environnemental de la dérégulation des entreprises, c’est là encore un point de vue politique. Néanmoins dans le film il y est moins question d’environnement que de Capitalisme, le désastre écologique n’étant qu’un effet secondaire d’un problème plus large.


A certains égards Snowpiercer est un film sur le contrôle. Le contrôle des entreprises, le contrôle du gouvernement mais surtout le contrôle des gens dans leur vie quotidienne, leur nourriture et aussi comment ils voient le monde à la fois au sens figuré que littéralement. De façon figurée à travers les enfants de la classe aisée qui se voient instruis dès leur plus jeune âge à vénérer Wilford, ressemblance voulue avec l’endoctrinement en Corée du Nord, mais aussi de façon littérale en montrant comment ceux appelés à diriger le train verront le monde. Quand à l’arrière du train tout y est claustrophobe vu qu’il n’y a aucune fenêtre. Ils ne voient rien du monde extérieur car Wilford ne le veux pas. C’est lui qui a conçu le train et rien n’a été laissé au hasard. Il ne voulait pas qu’ils puissent regarder dehors et penser à un monde en dehors du train. En dehors du système.


Mason explique qu’ils mangent du sushis deux fois par an afin de contrôler la population de l’aquarium. Par cet aspect on peut remarquer que la population du train est contrôlée de la même façon, à travers les meurtres de masses. Les pauvres du train sont tels les poissons dans leur aquarium. L’aquarium est une métaphore du train, l’aquarium est le train mais à plus petite échelle.


Si l’on regarde la composition à l’arrière du train, elle est massivement masculine. L’idée qui se dégage est que les jeunes femmes à l’arrière se retrouvent incorporées à l’avant du train. On note surtout leur présence dans la scène de club et d’autres sections à l’avant. Wilford doit garder juste assez de femmes afin de fournir des enfants ce qui renvoi à la place de la femme dans une société patriarcale. Parallèlement cette situation de déséquilibre (comme en prison) entraîne l’homosexualité à l’arrière du train à l’image du personnage Grey qui possède un tatouage de Gilliam sur son cœur. Ça parait tiré par les cheveux mais Bong Joon-ho a confirmé la chose en interview.


Le symbolisme des couleurs est aussi très important dans Snowpiercer. Les sections à l’avant du train sont faites de couleurs chaudes. Plus la classe est riche et plus chaude deviendra la couleur à l’image. A l’arrière du train tout est noir et l’image est composée de couleurs sourdes. A regarder cela donne une impression de froid. Progressivement et de façon constante le film passera du noir au blanc et historiquement le noir et blanc symbolisent respectivement le bon et le mauvais. Seulement à la fin du film Curtis réalisera que le blanc est loin de symboliser le bon puisque le bon entretenu par Wilford est nécessairement corrompu par son but meurtrier. Il faut également préciser que dans nombre de pays asiatiques, dont la Corée du Sud, le blanc symbolise plutôt la mort. Ainsi la scène où Curtis s’approche de plus en plus de la salle des machines, tout blanche qu’elle est, symbolise le fait qu’il se rapproche de plus en plus de sa propre mort et de la corruption du système voulu par le train.


Qui représente Curtis d’ailleurs ? Il y a comme une figure christique chez lui. Il est humble, il est guidé par une figure paternelle mais qui n’est pas son père biologique, il possède ses propres disciples, ses mains sont blessées et il est vu comme le sauveur de son peuple. Mais la symbolique religieuse dans Snowpiercer a peut-être moins à voir avec le christianisme courant et plus à voir avec le gnosticisme. Pour les gnostiques le monde est la création d’un faux-dieu qui prétend être bienveillant mais s’avère en fait un être malveillant qui souhaite garder les humains en prison dans un monde artificiel. La seule échappatoire est de promouvoir le matérialisme afin de rejeter ce faux dieu. Le matérialisme dans son sens spirituel c’est l’acceptation et l’amour du monde physique. Mais à l’intérieur du train il désigne clairement la décadence. Wilford, le créateur du train, est le faux-dieu. La croyance gnostique de s’élever spirituellement est quelque peu détournée dans le film puisque les protagonistes progressent horizontalement jusqu’à l’avant du train afin de détrôner le faux-dieu mais le parallèle est là. Ceux qui assistent le faux-dieu sont appelés les archontes et dans le film il s’agit clairement des gardes de prison. Le train lui-même peut être vu comme une arche de Noé moderne, regroupant ce qui reste de la population mondiale, mais avec un but cupide. Au lieu d’un moyen de sécuriser toutes les espèces vivantes durant le déluge, le train sécurise les riches, laisse les pauvres dans la misère et délaisse la plupart des espèces animales. C’est l’arche de Noé si elle avait été conçue par les hommes plutôt que par Dieu : égoïste, court-termiste et cruelle.


Snowpiercer n'est pas un appel violent aux armes afin que le monde réel s'engage dans une guerre de classe, mais plus un commentaire sur la façon dont Bong Joon-ho croit que le monde devrait faire face à ses problèmes. Opérer des changements révolutionnaires et pas seulement de petites modifications au dernier moment. Si on se réfère à la citation de Fredric Jameson sur la fin du monde, la réponse du réalisateur est que les problèmes du monde sont de nature systémique. Au début du film on nous dit que le Snowpiercer peut durer pour toujours mais le message du film est qu’il ne dure que jusqu’au moment où l’on décide de le faire sauter. C’est ce que comprend Curtis au moment de prendre la place de Wilford : il ne ferait que perpétrer ce cycle horrible. On déteste nos gouvernements corrompus ainsi que nos patrons de multinationales mais bien souvent nous devenons comme eux. Cela se passe depuis toujours dans l’histoire et Curtis qui justement ne souhaite pas que l’histoire se répète une fois encore décide que le train doit s’arrêter. Le problème est systémique, pas quelque chose que l’on peut réparer par un changement de « conducteur ». Et l’image de l’ours à la fin du film montre que quelque chose peut survivre en dehors du train. En dehors du système.


Lutte des classes, Capitalisme, écologie, sexualité et religion peuvent sembler faire beaucoup pour un seul film mais c’est pourtant bien là la grande réussite de ce Snowpiercer.


https://www.filmcomment.com/blog/interview-bong-joon-ho/

Ashtaka
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les "bons" films que Durendal n'a pas aimés et Les meilleurs films de Bong Joon-ho

Créée

le 29 avr. 2017

Critique lue 1.1K fois

14 j'aime

Ashtaka

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

14

D'autres avis sur Snowpiercer - Le Transperceneige

Snowpiercer - Le Transperceneige
Strangelove
8

I like Trains !

Comment vous expliquez cela ? Comment vous exprimer toute l'excitation qui est la mienne à la sortie de ce film ? Je l'attendais vraiment énormément. Certes moins que Gravity. Mais au final, le film...

le 30 oct. 2013

170 j'aime

27

Snowpiercer - Le Transperceneige
Sergent_Pepper
5

Notre train (train) quotidien

Face à Snowpiercer, deux choix s’offrent au cinéphile : voir un blockbuster de qualité, ou voir le décevant nouveau film de Bong Joon-Ho. Pour peu qu’on m’ait trainé dans un cinéma pour un film...

le 9 déc. 2013

149 j'aime

20

Snowpiercer - Le Transperceneige
Gand-Alf
8

L'esprit dans la machine.

A l'instar de ses compatriotes Park Chan-Wook et Kim Jee-Woon, le sud-coréen Bong Joon-Ho tente à son tour de séduire le marché international avec cette co-production entre la Corée du Sud, les USA...

le 15 nov. 2013

124 j'aime

3

Du même critique

Le Labyrinthe de Pan
Ashtaka
9

Un Conte de Fées du XXème siècle

Les adaptations de Walt Disney font autorité chez nos contemporains dans la manière dont l'histoire d'un conte merveilleux se doit d'être racontée. Au point de susciter une certaine exaspération et...

le 3 nov. 2016

16 j'aime

Les Questions Cons
Ashtaka
3

Combien de temps perd-on sur Youtube ?

Combien il y a-t-il de grains de riz dans un sachet ? Combien de temps pour vider un stylo Bic ? Le calendrier iphone a-t-il une fin ? On ne nous ment pas sur la marchandise : on va vraiment répondre...

le 3 mars 2016

15 j'aime