Il y a souvent confusion entre la légitimité d’une cause et sa représentation artistique, la première devenant un garde-fou derrière lequel se protéger en sollicitant raison, convictions et sentiments. Le souci, c’est qu’une cause légitime ne donne pas forcément lieu à une œuvre réussie, ni à une œuvre tout court ; l’illusion étant de considérer l’art comme un moyen, un média pour dire quelque chose, montrer quelque chose, alors qu’il doit se suffire à lui-même. Et Sœurs d’armes en est certainement l’expression la plus complète, puisque l’engagement de Caroline Fourest accouche d’une production qui, au nom de la défense des femmes et de la lutte contre la barbarie, oublie le cinéma pour recycler des poncifs inertes, pour adopter une série de poses et de discours préfabriqués d’inspiration hollywoodienne, comprenons blockbuster militariste avec ses course-poursuite à la Mad Max – sans George Miller à la réalisation –, sa musique simpliste et grandiloquente, son défilé de superhéroïnes qui foulent au pied l’Histoire.
Car outre le manichéisme avec lequel il représente protagonistes et antagonistes, outre la complaisance avec laquelle il se saisit de la violence, le plus épouvantable, dans Sœurs d’armes, réside certainement dans sa volonté de mêler la fiction et la matière documentaire, de rassembler le fantasme et l’Histoire au nom d’un combat idéologique mené ici avec une virulence similaire à celle qui est combattue, à savoir un radicalisme de chaque instant qui transforme le masculin en bourreau barbare et la femme en victime. Fantasme de la guerre tout d’abord, puisqu’elle est mise en scène à la manière d’un spectacle contemplé depuis les hauteurs où tuer devient l’expression d’un règlement de comptes entre les confessions et entre les sexes auquel le spectateur est invité à participer jusqu’à prendre les armes à son tour. Fantasme de l’engagement militaire ensuite, puisqu’il rejoue sur un mode burlesque proche du cartoon les clichés de la formation des nouvelles recrues, renvoyant une impression ludique des entraînements sous une chanson pop qui martèle le titre du long métrage. Fantasme de la solidarité féminine enfin, qui tresse ensemble des destins brisés ou apparemment opposés pour faire triompher la femme et son courage.
Que les intentions initiales aient été louables, d’accord. Mais que le résultat soit aussi grossier et maladroit s’avère inacceptable. Car ce que réalise Caroline Fourest n’est autre qu’un clip de propagande pour une révolte sans nom véritable qui déforme l’Histoire en lui injectant ses illusions et ses tropismes, blockbuster de guerre lourdement esthétisé, gonflé aux ralentis et à l’icône, qui révèle surtout une nullité formelle – qui ose encore faire des flashbacks sur des champs de coquelicots en fleur parcourus par une famille riante et souriante ?