Solitude
7.8
Solitude

Film de Pál Fejös (1928)

Il y a de quoi être bluffé par le dynamisme dans la mise en scène de cette romance, à l'âge d'or du cinéma muet, qui trouve une résonance intéressante avec le grand classique de King Vidor sorti la même année, La Foule. Loin de la prédominance du mélodrame dans ce dernier et au-delà de la particularité commune de situer l'action autour d'un 4 Juillet, c'est à travers le portrait de quelques aspects de la société, et à cet effet dans la captation de foules, que les deux individualités se découperont, se rencontreront et se lieront.


Le premier mouvement est particulièrement réussi, comme un mélange d'horizons européens et américains (Pál Fejös était un réalisateur hongrois naturalisé américain), décrivant les deux protagonistes chez eux, au réveil, puis à leur travail, capturé dans toute sa dimension aliénante. Pour elle, l'enfer des standards téléphoniques avec les rangées de panneaux de connexion et le chaos de câbles ; pour lui, l'oppression des machines comme ouvrier d'usine, perdu dans la répétitivité de sa tâche et dans le ronron des moteurs. Une peinture très avant-gardiste de la déshumanisation au travail (8 ans avant Les Temps modernes de Chaplin, par exemple) et de la solitude au milieu de l'effervescence urbaine.


Et à la faveur d'une virée à Coney Island, sur la plage et dans un parc d'attraction (le Luna Park), leurs solitudes seront mises en commun. Par hasard, ils seront unis, par hasard, ils seront désunis. La foule est perçue à la fois comme le moyen paradoxal de trouver une forme d'intimité et de prétexte à se retrouver, entourés par le brouhaha ambiant, mais aussi comme un danger vibrionnant qui peut les séparer à tout moment : cela se manifestera notamment lors de la séquence dans la rue, avec une caméra virevoltante à travers la foule dense, d'une vivacité et d'une mobilité assez scotchantes pour l'époque.


En plus du travail au niveau du positionnement de la caméra, on peut aussi noter des explorations formelles dans les effets de surimpression discrets mais francs, dans le travail de montage et de colorisation à la limite de l'expérimental par moments, ainsi que l'adjonction de deux ou trois scènes dialoguées — ajoutées a posteriori afin de satisfaire un public curieux à l'égard de cette nouvelle technique. Ces dernières ne s'insèrent pas de manière franchement harmonieuse, elles tombent souvent comme un cheveu sur la soupe et s'accompagnent d'une rigidification instantanée de la caméra ainsi que d'une rupture de continuité de l'arrière-plan, rendant ces passages un peu gauches à l'exception de celui focalisé sur la discussion des deux tourtereaux à la plage.


En tout état de cause, la modernité du film, la poésie de la romance timide et la plongée au cœur des foules dominent aisément toutes les réserves.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Solitude-de-Pal-Fejos-1928

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le 19 déc. 2020

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Morrinson

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