J'ai bien conscience que ce film n'est celui qui a la meilleure réputation chez les fans de Bergman.
Film intimiste, huis-clos bavard, les enjeux mis en scène par le suédois sont pour moi fascinants et bouleversants même si le scénario se réduit à un affrontement, une joute verbale entre les personnages.
Ingmar Bergman met en scène les retrouvailles entre une mère et sa fille. Elles ont perdu le contact depuis plusieurs années malgré les efforts de la jeune femme pour prendre sa génitrice comme elle est.
Sonate d'automne est l'histoire de la confrontation de deux personnalités : l'une généreuse et compréhensive et l'autre individualiste, ambitieuse et égoïste. La faible contre la forte...
Le contexte n'est pas des plus faciles pour M. Bergman. Son ambition créatrice est brimée par des problèmes fiscaux et sa volonté de travailler à l'étranger (en Norvège ici). Son autorité jusque là jamais remise en question se heurte à l'expérience de sa compatriote Ingrid. Elle ne se laisse pas diriger sans mot die et n'accepte pas la vision qu'a le cinéaste de son personnage.
Elle refuse d'accepter la culpabilité toute féminine de faire passer une brillante carrière avant ses enfants. Reprocherait-on jamais ça à un homme ? Au delà du regard de l'homme, Ingrid fait de la scène d'excuses du film, à travers l'ambiguité de sa prestation, un moment de libération des femmes et du droit d'avoir le choix.
Bergman nous montre une figure maternelle doublement dénaturée. La relation qu'elle entretient avec sa fille, la fidèle Liv Ullman, n'est pas la seule concernée ici. L'analyse des conséquences sur le développement de la personnalité ne sont pas épargnées et la cerise sur la gâteau réservé à la marâtre est la présence d'une personne qu'elle ne soupçonnait pas.
En visite chez sa fille et son époux, dans un coin reculé, calme et isolé, elle a accepté l'invitation de cette dernière qui a renoué le contact avec elle suite à son second veuvage. Le réconfort gracieusement offert laissera vite la place aux rancoeurs et aux réglements de compte.
Le sentiment d'être ignorée, laissée pour compte et les griefs accumulés depuis sa plus tendre enfance vont refaire surface.
Face à cette haine reçue en pleine face, la virtuose comprendra ses erreurs mais ne changera pas pour autant. La jeune femme sera libérée mais cela n'aura servi à rien puisque rien n'aura changé. Ni sa mère, qui fera comme si tout ce qui lui a été dit ne rimait à rien ni sa relation à son mari.
Charlotte se montre sourde et inflexible, reconnaissant à peine l'indifférence et les humiliations infligées à son enfant. Face à certaines faute, s'excuser n'est que la facilité quand on refuse de réparer.
Eva se rendra compte que finalement quand on réalise qu'on ne peut pas compter sur une personne, il ne sert à rien de vouloir lui faire ouvrir des yeux qu'elle tient à garder fermés.
Nul n'est plus aveugle que celui qui ne veut pas voir...
Bergman met beaucoup de lui dans le personnage de Charlotte, en montrant combien le talent, le génie peut peser sur l'entourage et les héritiers ; à quel point une dévotion à l'art peut condamner à la solitude.
La scène du "duel" à coup de Chopin est une excellente manière de montrer ce qui oppose les deux femmes. Entre l'une qui cherche la sincèrité et la discrétion et l'autre qui malgré l'inutilité de la chose écrase de sa supériorité la sensibilité déjà à fleur de peau de sa progéniture.
Là Ingrid Bergman campe à merveille une handicapée des sentiments, un être "sur"humain qui a évacué pour la performance toute empathie et compassion.
A la démonstration à charge contre la fable que véhicule le terme d'instinct maternel, se couple une réflexion sur l'âge de la femme et le fait que son temps de gloire, le moemnt où on doit briller dure bien moins pour une femme que pour un homme. Charlotte arrive à l'âge où une femme fait un retour en arrière, un bilan de sa vie. Professionnellement, combien de temps encore pourra-t-elle faire face à la nouvelle génération qui se fait un nom là où le sien était encore gravé en lettres d'or quelques années auparavant ?
Les deux autres personnages, le mari et la soeur handicapée, servent ici de révélateur.
Ce n'est pas Charlotte qui est blessée, ni Eva qui est humiliée mais le spectateur qui s'identifie et revit ses propres fêlures à travers les leurs.
A voir pour ouvrir les yeux sur notre arrogance quotidienne et nos incorrections envers autrui.
Rawi
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le 6 sept. 2014

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Rawi

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