La ville chez Johnnie To n’est pas un décor mais une partition dont chaque rue, chaque vitrine, chaque reflet compose une rime secrète. Sparrow installe d’emblée ce principe : un groupe de « moineaux » pickpockets évolue dans Hong Kong comme un quatuor instrumentiste, ses doigts répétant des motifs, ses déplacements dessinant des phrases visuelles. Le film, réalisé par Johnnie To et sorti en 2008, trouve en Simon Yam un centre serein et en Kelly Lin une énigme catalytique qui déclenche la mécanique narrative.
Ce qui fait la singularité du film, et ce qui en justifie la modestie apparente, c’est la primauté accordée à la mise en scène sur l’anecdote. To orchestre la pellicule comme on écrirait une pièce pour chambre : économie des hors-champs, précision du plan-séquence, attention au raccord dans le mouvement. Les séquences de larcins sont travaillées comme des chorégraphies, le geste du pickpocket devenant un motif récurrent où s’articulent vitesse et silence. Là où le récit paraît parfois léger, c’est volontaire ; l’intrigue cède le pas à l’observation et au théâtre des regards, au profit d’un cinéma qui pense par la texture des plans. L’ensemble conserve un esprit enjoué, presque français dans son raffinement de la comédie de mœurs.
La photographie de Cheng Siu-Keung élève ces petites opérations en tableaux nocturnes d’une rare élégance. L’étalonnage favorise des nocturnes chaudes et des plans moyens où la profondeur de champ épouse la topographie urbaine, transformant trottoirs et néons en surfaces où se lisent désirs et menaces. Le cadre réserve souvent l’action à la marge, réduisant le corps au mouvement et amplifiant l’importance des inserts et des gros plans sur les mains. Cette écriture visuelle, conjuguée à un montage mesuré, explique l’atmosphère de pellicule à la fois légère et chirurgicale qui caractérise Sparrow.
La bande sonore, signée Xavier Jamaux et Fred Avril, accompagne la vitesse des larcins par des motifs discrets, presque laconiques. La musique ne commente pas ; elle souligne, elle contre-pointe. Ce choix crée parfois une tension : l’insouciance mélodique peut atténuer le poids dramatique de certaines révélations, tandis que le montage préfère la respiration et l’elliptique au crescendo. Mais ce parti pris confère au film une fraîcheur et une élégance qui sont, dans le registre du caper movie, des qualités précieuses. ssi comme l’un des films de Milkyway Image où To se permet une fantaisie personnelle, tournée entre autres projets sur plusieurs années ; ce caractère intermittent explique la tonalité de labyrinthe délicat et la sensation d’un projet chéri, moins soumis à la nécessité commerciale. Présenté en compétition à la Berlinale 2008, le film a trouvé son public critique et confirmé la capacité du réalisateur à renouveler son vocabulaire formel sans trahir ses obsessions.
Le film n’est pas indemne de réserves. Son intrigue tient sur un pli et l’on regrettera parfois que l’émotion ne parvienne pas à franchir la paroi de la coquetterie formelle. Pourtant ces réserves paraissent constitutives d’un choix : préférer la caresse du plan à la démonstration du sentiment, sculpter l’instant plutôt que l’arc narratif. Au sortir de Sparrow subsiste l’image d’une ville photographiée comme on volerait un regard, avec pudeur et adresse. Ce petit essai urbain confirme Johnnie To dans une voie de charme discret où le cinéma s’exerce au doigté.