Humain, trop humain : critique et analyse de la trilogie de Sam Raimi.

Critique rédigée à l’occasion du marathon Spider-Man organisé par le Grand Rex le 4 juillet 2020, et commune au trois films de Sam Raimi.


Mon rapport avec la trilogie Spider-Man est très différent du votre. Films cultes dont je n’avais que des bribes de souvenirs d’enfance (étant quasiment sûr d’avoir découvert au moins les deux premiers au cinéma), ces derniers sont très vite remontés à la surface lors de ce revisionnage. Mais vous l’aurez compris, je n’ai jamais fait partie des fans hardcore de ces œuvres, ni même de ceux chez qui elles occupent une très jolie place dans leur coeur. C’est donc avec un regard relativement neuf et vierge de tout préjugé que je me suis rendu au Grand Rex. Je n’étais d’ailleurs pas spécialement motivé pour voir ces trois films, si ce n’est la perspective de passer une excellente journée en bonne compagnie et découvrir cette salle de cinéma mythique et sa fameuse ambiance.


En réalité, en plus de ces deux éléments qui furent particulièrement appréciables, j’ai adoré renouveler mon opinion sur cette trilogie. D’autant que l’ambiance chaleureuse qui se dégageait de la salle du Grand Rex a bien aidé : le public était globalement calme et respectueux de l’oeuvre tout en sachant tout de même créer du lien aux moments-clés du film (les applaudissements à chaque sauvetage de Spider-Man ou aux diverses mentions de Stan Lee au générique des trois films resteront gravés dans ma mémoire je pense). Je fus le premier surpris d’apprécier autant ce marathon et de vraiment prendre plaisir à la vision de ces trois opus (même le troisième, oui). Moi qui portais un regard très négatif sur les productions super-héroïques depuis pas mal de temps, me voilà à mettre d’excellentes notes à au moins deux d’entre elles.


Ce qui m’a sans doute le plus plu, dans la trilogie mais surtout dans le premier et le deuxième volet, c’est la qualité haut de gamme de la réalisation de Sam Raimi. Si je déteste autant les superproductions Marvel aujourd’hui, c’est sans doute pour leur côté aseptisé et l’absence de réalisateurs de qualité à leur tête, qui font le travail certes, mais qui n’ont pas la main-mise pour prendre des risques, et qui en plus de filmer sans génie, rendent même l’action parfois illisible.


Ici, plusieurs ingrédients majeurs qui font partie intégrante de la mise en scène de Sam Raimi étaient déjà réunis pour que la trilogie me plaise, avant même de m’intéresser à l’histoire : des mouvements de caméra fluides et toujours intelligents ou en tout cas jamais superflus (l’utilisation de courts plans-séquences avec parcimonie et une caméra très tournoyante), des raccords ingénieux (difficile de ne pas se rappeler de cette transition géniale lors de la scène du train dans Spider-Man 2), des scènes d’une violence rare pour des films s’adressant à la jeunesse, n’hésitant pas à recourir au savoir-faire de Sam Raimi en matière d’horreur (dont une utilisation maline du jumpscare, par exemple le baiser interrompu par une voiture traversant une vitrine, dans le deuxième opus également). De cela découle une immersion totale lors des scènes de voltige qui sont d’une réussite époustouflante. C’est valable pour les trois films, même si dans le dernier ces séquences finissent par lasser mais sans jamais agacer pour autant. Lors de ces passages, le vertige est permis pour le spectateur, qui au cinéma peut même ressentir quelques sensations fortes sans l’aide de la 4DX, ce qui est peu commun malheureusement dans des productions actuelles. Nous ne voyons pas Spider-Man voler à l’écran : nous sommes avec lui dans les airs. De même, les chutes des personnes en détresse et notamment de Mary Jane génèrent une tension et une crispation presque étouffante pour le spectateur, qui même s’il sait comment elles vont toutes se terminer (spoiler : bien), ne peut s’empêcher de trembler pour elles. Ces deux points sont bien aidés par l’architecture new-yorkaise, qui était faite pour accueillir un tel super-héros, tant elle est basée sur la verticalité. Les nombreux gratte-ciel façonnent finalement les scènes d’action, et à ce titre, on peut dire que Sam Raimi, en plus d’être habile derrière la caméra, sait également tirer à profit l’environnement qu’il a à sa disposition (chose que fera également Man of Steel plus tard). Par exemple, la scène de la grue dans Spider-Man 3 synthétise à elle toute seule l’ensemble des arguments que je viens d’avancer.


Si les deux premiers films portent autant d’excellence en eux, c’est également grâce à leur qualité d’écriture, qualité qui fera partiellement défaut pour la conclusion de la saga. En effet, le premier volet introduit parfaitement les personnages et nous rappelle que tout ce qui va survenir a pour origine Mary Jane (c’est toujours une histoire de fille, nous prévient la voix off), annonçant d’entrée de jeu le rôle-clé qu’elle aura à jouer dans la trilogie. Il porte aussi en lui une inévitable naïveté et une fraîcheur qui font toute sa beauté. S’il est d’ailleurs l’un des films les plus emblématiques des années 2000, c’est sans doute dans le charme nostalgique que l’on peut trouver dans les styles vestimentaires et l’apparence physique des protagonistes qui ont pris un sacré coup de vieux mais qui sont aussi les témoins d’une époque heureuse pour beaucoup d’entre nous. Au départ du premier film, Peter Parker est jeune, innocent et maladroit. Il est un intello coincé un peu loser sur les bords, pas encore prêt à jouer le rôle capital qu’il aura à tenir pour les habitants de New York. Si ce personnage est autant apprécié aujourd’hui, c’est avant tout car beaucoup ont su s’identifier à lui : avant d’être super-héros, il n’a rien d'un surhomme, au contraire, il est même humain, trop humain. Il s'agit d'un adolescent tout à fait lambda, avec ses forces et ses faiblesses, ses maladresses et ses craintes, ses espoirs et ses désillusions. Tout l’enjeu des trois films est de le faire évoluer, et on peut dire qu’ils réussissent cette entreprise brillamment. Peter Parker va apprendre de ses erreurs, et vous savez comme moi qu’il va en commettre énormément, ce qui fait de la saga Spider-Man un véritable périple initiatique.


Le deuxième Spider-Man est ainsi beaucoup plus mature que le premier, l’humour se faisant plus discret et les personnages prenant des décisions plus intelligentes. Sans être forcément mieux écrit (le Docteur Octopus n’est pas aussi passionnant que le Bouffon Vert et disparaît même de la circulation pendant un temps trop long), ce volet opère un virage intéressant d’un point de vue émotionnel et porte en lui la meilleure séquence d’action de la saga, qui n’a absolument pas vieilli et reste bluffante encore aujourd’hui.


Le troisième, quant à lui, sans être totalement raté, démarre plutôt bien, mais souffre de défauts d’écriture assez inquiétants : à partir du moment où Peter décide d’embrasser Gwen, on peut qualifier ce choix comme stupide de la part du héros dans la diégèse, mais surtout d’un point de vue scénaristique, car il génère des conséquences assez lourdes à gérer à la fois pour les personnages dans le récit mais également pour l’élaboration d’un scénario qui se doit de rester cohérent. Les mauvais choix s’accumulent alors, entre une bonne partie du récit qui se transforme en soap-opéra de bas étage, le temps que le triangle amoureux règle ses affaires, et même une écriture en totale roue libre qui donne lieu à des séquences musicales très drôles mais par la même très étranges, voire inappropriées, alourdissant un film déjà assez chargé car devant conclure la saga. Ainsi, les 45 dernières minutes doivent rattraper les conséquences de ces mauvaises décisions et s’avèrent finalement rushées pour un résultat prévisible et surtout décevant dans ses ultimes minutes, l’émotion étant certes présente mais gâchée par ce qui a été raté avant. Mais l'erreur est également humaine, trop humaine, et cela n'enlève rien à l'écriture presque parfaite des deux premiers opus.


D’un point de vue moral et philosophique, la trilogie s’articule autour de vraies problématiques qui puisent leur réponse dans la foi et dans la culture américaine du réalisateur comme :



  • celle du devoir d’aider son prochain : « Un grand pouvoir implique de
    grandes responsabilités ». Peter Parker doit agir pour le souverain
    bien, car il lui a été conféré un don exceptionnel, mais c’est le cas
    de tout un chacun. Nous sommes tous en possession d’un talent et il
    n’appartient qu’à nous de le développer pour agir pour la communauté.
    Sam Raimi nous propose donc une vision très chrétienne du
    super-héros.

  • celle du libre-arbitre  et de l’importance de chaque décision que l’on prend : Peter Parker, à l’image d’Harry Potter et de Frodon, est un être élu. Il n’a pas choisi son pouvoir mais pourtant ce pouvoir est bien là, et l’homme-araignée va être pourchassé à cause de cela. Néanmoins, cette situation qu’on pourrait voir comme une absence de libre-arbitre, permet au héros de se rendre compte que malgré tout, il est maître de son destin et que chacun de ses choix porte en lui des conséquences très importantes. Les décisions qu’il prend, en particulier les mauvaises, se répercutent immédiatement sur ses relations, alors qu’il pouvait à chaque fois faire l’inverse de ce qu’il choisit. La liberté ayant été érigée en valeur suprême par les Etats-Unis depuis leur création, il n’est donc pas étonnant que Sam Raimi propose ce genre de vision. Ainsi, dans le troisième volet, en décidant d’embrasser Gwen devant un public composé de sa petite amie Mary Jane qu’il s’apprêtait à demander en mariage, il se complique énormément l’existence. Seul lui peut en être tenu pour responsable.

  • du poids de la culpabilité qui nous ronge : Peter s’en veut énormément pour la mort de son oncle, de laquelle il se considère comme responsable. Cela va être l’élément déclencheur de beaucoup d’actions qu’il entreprend. De même, lorsque dans le second volet, il décide pendant un temps de ne plus sauver les gens et qu’il voit un homme se faire agresser, il s’empêche d’agir sur le moment mais l’expression sur son visage trahit ses pensées, pleines de questionnements sur la rectitude de son attitude.

  • de l’importance capitale du pardon : les films s’articulent beaucoup autour du désir de vengeance de Peter vis-à-vis de l’assassin de son oncle, qu’on pense résolue dans le premier volet assez tôt, mais qui finalement ressurgit dans le troisième volet avec l’apparition du complice et du véritable auteur du meurtre. C’est malgré tout la force du pardon qui l’emporte. Peter Parker a parfaitement compris la leçon enseignée par sa tante May sur la nécessité de pardonner à ceux qui nous ont offensé. Là encore, difficile de ne pas penser à la religion chrétienne.


On a donc affaire à des films profonds, qui malgré leur apparente simplicité et la succession de péripéties faciles à suivre pour n’importe qui d’entre nous, portent en eux des messages intelligents et nécessaires. Je ne fais d’ailleurs qu’effleurer la portée philosophique de la trilogie, qui est d’une richesse incroyable à ce niveau. Presque chaque phrase prononcée par l’un des personnages pourrait être analysée.


Mais au-delà de cela, on se trouve, en parlant des trois films, face à des produits de divertissement de très haute volée, qui comportent leur lot de scènes cultes, aussi bien d’un point de vue dramatique qu’humoristique (JK Simmons est loin d’être étranger au succès de cet aspect, tout comme cette scène au restaurant français dans Spider-Man 3, l'une de mes préférées de la saga), rappelant au passage qu’il est possible de faire de l’humour subtil dans un film de super-héros sans annihiler la portée émotionnelle de l’oeuvre en question.


La trilogie de Sam Raimi a réussi à créer des personnages attachants et humains avant tout, cette proximité entre les protagonistes et le spectateur étant capitale dans une œuvre d’art quelle qu’elle soit (même s’il est vrai que le troisième film ôte un peu de crédibilité à l’ensemble). La bande originale des trois volets est réussie et participe à rendre épique les nombreuses séquences aériennes mais également des scènes moins citées, comme celle de la naissance de l’Homme-Sable au début du troisième opus, que j’ai trouvée particulièrement belle et poétique. On est donc face à un ensemble rythmé, au montage diablement efficace, qui ne comporte ni de séquence en trop ni de manque (Spider-Man 3 mis de côté pour le coup).


J’en ai peu parlé mais cette trilogie est également une oeuvre au romantisme exacerbé. Certains y voient de la niaiserie, et ils n'ont pas totalement tort (le premier opus faisant fort sur ce point), mais dans le même temps cela confère une dimension particulière à l'oeuvre et lui permet de délivrer un message essentiel sur la puissance de l'amour. L’amour d’un jeune homme pour son oncle et sa tante, pour qui il renverserait des montagnes, et de manière tout aussi flagrante, ce triangle amoureux, matérialisé par la relation de Peter avec son meilleur ami Harry et la belle Mary Jane, qui montre tout aussi bien que chaque être est capable de se dépasser pour la personne aimée et que la plupart de nos actions, bonnes ou mauvaises, sont dirigées dans ce but. L’oeuvre de Sam Raimi tente aussi de prouver que l’Amour avec un grand A, c’est aussi et même avant toute chose une histoire de rendez-vous manqués, à base de « fuis-moi, je te suis, suis-moi je te fuis ». Il y a quelque chose d’agaçant à voir les deux héros se rejeter aux pires moments quand l'autre est prêt à l'accepter alors que tout était réuni pour les voir vivre une très belle histoire d’amour plus rapidement qu’à la toute fin de la saga. C’est peut-être cela qu’on retient le plus facilement, tant la relation compliquée entre l’homme-araignée et sa belle dulcinée peut être source de frustrations mais permet aux deux personnages de grandir et s’accomplir, à la fois ensemble et séparément. C'est la très forte humanité qu'ils portent en eux, et les erreurs de comportement qu'elle génère, qui rend extrêmement crédible l'écriture des personnages et de leur relation tumultueuse. Les scénaristes peuvent ainsi se targuer d'avoir enfanté des protagonistes plus humains que l'humain, dans le sens où ils se trompent plus que la moyenne du commun des mortels dans leurs choix, mais apprennent également plus vite.


Et puis, Sam Raimi a quand même réussi à créer la scène de baiser la plus culte du cinéma des années 2000. Et rien que pour ça, il mérite toute notre reconnaissance.

Albiche

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