Ou beaucoup de bruit pour pas grand chose (à voir)

Ou beaucoup de bruit pour pas grand-chose à voir : on se rangera cette fois-ci dans l’infamous camp des pas convaincus.


Oui, l'histoire de Spotlight a le mérite d'être vraie (dans une certaine mesure, paraitrait-il, pour ce qui est du mérite du Boston Globe par rapport au Phoenix, mais bon, concentrons-nous sur l'« affaire »). Ètre catho et exaspéré par l'agenda libéral-progressiste anticlérical en œuvre depuis des décennies n'empêche certainement pas de reconnaître les faits. Oui, cette histoire dit/rappelle certaines choses qui méritaient d'être dites/rappelées, comme l'aisance parfaitement scandaleuse avec laquelle le cardinal Law a pu s'en sortir, à la fin. Oui, sa narration est limpide, et le film a le mérite de ne rien avoir tricoté par-dessus - ce côté « no bullshit » a déjà été amplement loué. Oui, les acteurs sont quasiment tous impeccables (bien qu'en dehors de Michael Keaton et Mark Ruffalo, ils n'aient pas eu grand-chose à « jouer »). Oui, ça propose des pistes de réflexion intéressantes sur la justification hautement débattable du célibat chez les prêtres catholiques (quand on est marié à Dieu, où se vide-t-on les couilles ?). Enfin, on peut qualifier Spotlight de beau film de journalistes, qui s'en prennent plein la gueule à notre décadente époque de Nightcrawlers et ne méritent pas tous d'être traités comme les sangsues qu'ils sont, euh, en bonne partie quand même. Ça fait pas mal de points positifs qui vaudront d'ailleurs au film la moyenne. MAIS... c'est beaucoup de fond, ça, et peu de forme. En d'autres termes : des bonnes choses qui font un bon film-dossier, mais pas forcément du bon cinéma. Et c'est pourquoi Spotlight est à la fois fort respectable ET assez insipide, malgré tout le respect que l'on doit aux victimes.


Et ça saute aux yeux dès le départ, d'un point de vue cinématographique, avec le minimalisme chiant de la mise en scène, la photographie fort adéquate mais relativement terne, et la bande-originale du film, à peu près aussi mémorable qu'une musique d'ascenseur. Mais alors... quid des nominations aux sacrosaints Oscars avec lesquelles les fans du film nous gonflent depuis des semaines à l'heure où sont écrites ces lignes ? Simple, à notre sens : les gens veulent y croire. Qu'on ne se leurre pas : leurs cris seraient inaudibles sans l'estampille « faits réels » du film ni l'aptitude des gens à suivre une masse sortie de nulle part, encouragée par la dynamique Internet et l'hystérie fanboyesque que la toile génère.


Un film, ça doit d’abord être un film


On essaie de comparer Spotlight aux Hommes du Président. Oui, ça se lit, et pas qu'un peu. Là, la première question qui nous vient à l'esprit est : sérieusement ? Voilà un exemple de commentaires qui se contentent de répéter ce qui a été lu ailleurs sans vraiment compiler les données. Le film de Pakula était rigoureux, il était investi... MAIS il n'oubliait à aucun moment de faire du cinéma. Lui non plus ne sortait à aucun moment les violons ni ne bricolait de « drama » superflu sur son histoire déjà amplement fournie... MAIS il n'en était pas moins électrique. Pakula et Gordon Willis (chef opérateur du Parrain), c'est juste autre chose que le gars qui a quand même réalisé un film avec Adam Sandler il y a moins de deux ans (ok, celle-là, elle était un peu facile). Spotlight n'a rien d'électrique, mais sous l'effet « oscarisons ! », comme par magie, la linéarité déprimante de son scénario et son arythmie congénitale se transforment soudain en réalisme sans concession et en dépouillement militant. Certains tomberont dans le panneau ; d'autres, non (choisissez votre camp). Nous, on se demande ce qui justifie une nomination à l'oscar pour le monteur - JFK, oui ; Spotlight, non. On ne demande pas le cirque ; juste que ça bande. David Fincher n'a-t-il pas réussi à faire un grand et rigoureux film sur l'obsession de la vérité avec (notamment) son personnage du journaliste dans son saisissant Zodiac ? Le cinéma épico-lyrique de Michael Mann n'a-t-il pas su grandiosement servir la cause de son chef-d’œuvre Insider ? Révolutionnaire : c'était à la fois sérieux ET divertissant ! L'approche « ultra-réaliste », sauf cas de figure où la caméra transcende le bordel à la Paul Greengrass (si l'on parle de forme pure), est un prétexte de branlos pas capable de faire réfléchir ET bander en même temps. Tom McCarthy cultivera même cet antispectacularisme en traitant par-dessus la jambe le 11 septembre, c'est à dire en posant ses personnages face à la télévision, et en les faisant réagir comme s'ils mataient un documentaire sur une fabrique d'allumettes de la Creuse. Le réel, c'est plutôt que ni l'auteur de ces lignes, ni la plupart d'entre vous, lecteurs, n'ont vu des adultes éduqués réagir aussi apathiquement à ces événements. Alors, « réaliste » ? Try again. Certains défenseurs du film ont également loué ces moments très pudiques où les personnages réalisent que l'affaire gonfle, et gonfle, et le fait qu'aucun n'a de réaction grandiloquente dans ces moments. Là encore, cette authenticité poignante ! Nous trouverons que le récent The Big Short, pour prendre un exemple récent, a fait bien mieux sur ce plan : certes, c'était sur un ton caustique, mais au final, l'important n'est-il pas de ressentir l'accablement du personnage face à l'accablante vérité ? Du début à la fin du film, le brillant casting de Spotlight tentera d'insuffler de l'énergie à ces scènes et du coffre à des dialogues même pas si mémorables que ça... péniblement. Liev Schreiber s'en sortira plutôt bien avec son personnage. Rachel McAdams et Brian d'Arcy James (dafuq ?), nettement moins. Comment être transporté face à ça ? Ouais, parce qu'être transporté, c'est à dire ressentir des émotions autres qu'un vague étonnement, c'est mieux, quand on suit une histoire de pédophilie...


Une critique intellectuellement inepte de l’Église catholique


Le fond du film n'est pas non plus sans poser problème : on ne peut reprocher à un film de mettre le doigt sur des faits, mais une compréhension complète est impossible tant que ces derniers ne sont pas étudiés dans un contexte global. Encore une fois, il ne s'agit pas de minimiser les faits des uns en rappelant qu'ils ne sont pas isolés ; simplement d'être au courant du monde dans lequel on vit. Par exemple, assassiner quelqu'un dans un monde où tout le monde tue induit un mécanisme psychologique bien différent de zigouiller quelqu'un dans un monde où le crime est quasi-inexistant. On dit donc qu'environ 5 à 6% des prêtres ont commis un abus sexuel sur mineur entre 1950 et 2002 aux USA... mais quel est le pourcentage de pédophiles dans la société en général ? Ce chiffre sera difficile à définir pour des raisons que l'on imagine, mais selon qu'il est d'1% ou de 5%, ça change absolument tout – quoique ce chiffre restera évidemment inférieur à celui des prêtres pédophiles, le célibat étant une invitation royale à la misère sexuelle. Une étude réalisée en 2008 par le Royal Ottawa Healthcare group a estimé ce chiffre à 2% à partir d'études menées en Allemagne, Norvège et Finlande (en partant du principe que la pédophilie implique que l'enfant ait moins de quatorze ans). Une autre étude révélée par CNN indique un chiffre oscillant entre 1% et 5%. Autre point, on met de côté le fait qu'il y a proportionnellement plus d'abus sur enfants, aux USA, chez les imams que chez les prêtres. S'il y a une leçon à tirer de cette information, c'est que si le catholicisme a de sérieuses tares, il est le premier a les avoir assumé, pour la même raison (liée aux Lumières, et... à la religion) que la civilisation occidentale est la championne de l'autocritique. Était-ce le job de Spotlight de couvrir un champ si large d'exploration du sujet ? Assurément, non. Mais le spectateur malavisé (= demeuré) tirera de ces omissions des conclusions pas forcément heureuses... Enfin, pour revenir à ce que Spotlight MONTRE, le film aura même quelques moments assez insultants envers la communauté catholique, voir celui, de haute voltige, où la journaliste aperçoit une église juste à côté d'un jardin d'enfant, et là, grondement de tonnerre... ! Le personnage du gros bourrin laïcard joué par Mark Ruffalo (enragé libéral hollywoodien par excellence... au moins, ça le rend d'autant plus crédible), tellement caricatural qu'il donne l'impression de mater une série de Shonda Rhimes, est à ce point anti-religieux qu'à un moment, il n'est pas foutu de comprendre qu'un catholique peut distinguer l'Église de la religion elle-même... et le film se montre plutôt complaisant à son égard.


Si le sujet vous intéresse, vous gagnerez davantage à lire les articles du Globe et les divers reportages qui ont été réalisés à ce sujet ces dix dernières années, plus réussies dans leurs genres que le film de Tom McCarthy. Parce qu'en d'autres termes : on s'emmerde un peu. On ne se sent lié à aucun personnage, on ne se souvient même pas de leurs prénoms deux minutes après le visionnage. L'intensité est au zéro, ce qui est un comble, compte tenu du sujet. Une question nous vient alors : le problème ne se situerait-il pas au niveau du point de vue ? Peut-être était-il impossible de passionner tout en restant fidèle aux événements... simplement parce que le point de vue des journalistes du Boston Globe, dans cette histoire, n'était pas le plus passionnant ? Peut-être aurait-il mieux valu les réduire à une partie d'un récit choral qui se serait penché sur les autres acteurs du drame, guérissant au passage le film de son anémie ? Why not. Ce qui est certain, c'est que face à Spotlight, ce sont les faits relatés qui maintiennent éveillé, plutôt que le film en lui-même. L'auteur de ces lignes le qualifiera donc, sans problème, de film le plus surestimé de cette période pré-Oscars 2016.

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le 6 févr. 2016

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