Donnons un peu de contexte : je n'érige pas du tout Star Wars en référence de la SF. Ca ne m'empêche évidemment pas d'avoir vu chaque opus 40 fois. Mais je vois la saga comme un divertissement. Un très bon divertissement certes, mais quand même. La saga, y compris les opus originaux, est bourrée de défauts. Tout ca pour dire que je ne suis pas le fanboy de base qui va gueuler dés qu'un truc ne veut pas dans son sens, et qui gueule au fan-service dans le cas contraire. Alors oui, je caricature, mais nul doute que ce sera le cas pour de nombreux avis spectateurs.
Au milieu de tout ça, me voila donc devant Star Wars 8. Et j'ai adoré. Déjà, c'est important de le mentionner, la mise en scène est absolument démentielle. Sans déconner, en plus d'une foultitude de plans esthétiquement somptueux et/ou badass en terme de photo pure, quelques plans sont d'une élégance jamais vue dans SW. Avec Rian Johnson, on a enfin quelqu'un qui a des idées de mise en scène et qui veut vraiment s'en servir. Les plans oú l'on voit la soeur de Rose mourir donnent le ton : The Last Jedi a soigné sa photo, et sera généreusement parsemé de plans sublimes et iconiques. Le segment décrivant la Force fait partie de ces moments absolument jamais vu dans la saga : ce montage rapide sans être frénétique se fait l'écho même de la Force qui connecte toute chose en même temps, à chaque instant, partout, tout en symbolisant l'état mental de Rey, submergée par cette révélation. Bienvenue mise en scéne originale, installe toi, prends un siège, ca fait bien plusieurs films qu'on t'attendait. La scéne de Rey dans la grotte est également marquante et jamais vue, même si je n'arrive pas à lui trouver une portée symbolique particulière. Le rythme du film est bon, on alterne moments plus calmes avec de l'action frénétique du turfu, on ne s'ennuie jamais.
Les personnages sont globalement pas mal écrits. Evidemment, ca casse pas trois pattes à un canard non plus, mais la ou l'on pouvait avoir peur que SW8 se focalise sur Rey et ne développe qu'elle, et le reste on s'en fout, et bien la, c'est le contraire. Finn est clairement en dessous en terme de développement de personnage pur, il n'évolue que trés peu, cela dit, ça me fera toujours rire, et toujours plaisir, de voir qu'un des personnages principaux de cette saga n'est pas un mec niais qui veut donner sa vie pour la cause parce que les méchants sont méchants. Tout ce qu'il fait depuis le 7 pour aider la Rebellion, il le fait surtout pour Rey, la première personne á l'avoir regardé différemment selon les dires de Finn dans le 7, et qui l'a traité comme tel. Quand on a été qu'un numéro pendant toute sa vie, forcément, une rencontre de ce genre, ça marque. Rey et Kylo Ren subissent un développement croisés et des plus passionants. Sérieusement, a-t-on déja vu un personnage vraisemblablement du côté clair progressivement se faire pote avec un personnage du côté obscur, apprendre a l'écouter au lieu du lui cracher à la gueule parce que tous les précédents SW nous avait dit que soit t'es méchants soit t'es gentil mais si y'a un truc que tu peux pas être, c'est entre les deux ? Et évidemment, cette relation ne marche et ne fascine que parce qu'elle est réciproque. Le développement de Rey est sublimé par cette révélation sur l'identité de ses parents, qui fait en plus écho aux thèmes principaux du film dont je reparlerai. Poe Dameron est également bien mis en avant et subi une vraie évolution, mais elle est directement liée, une fois de plus, aux messages du film dont je veux parler vers la fin de cette critique.
Passons au nerf du film, l'histoire : et la, c'est plus compliqué. Factuellement, le film est simple, simpliste même L'entrainement de Rey et une course-poursuite, avec Finn et Rose qui partent se faire de l'xp avec une quête secondaire des familles sur Canto Bight. Cependant, si factuellement ça casse pas des briques, c'est parce que Rian Johnson n'était pas intéressé par raconter une histoire épique, une aventure, mais avant tout par la transmission de son message. The Last Jedi est un film extrêmement riche dans son propos, mais perd par la même en narration. Est-ce un problème ? Quand on voit la densité, la pertinence et l'intelligence du propos développé, je ne pense pas. Mais encore une fois, puisque c'est le point fort du film, j'en parlerai à la fin. Quoiqu'il en soit, on est trés loin d'un simple duel bien/mal, qui ressort énormément et quasi exclusivement de tous les autres films. Si tout n'est pas toujours approfondi
je pense évidemment à ce passage ou l'on voit que la Resistance et le Premier Ordre achète leurs jouets chez les mêmes mecs, trés bien vu, mais à peine effleuré
,il y a une vraie volonté de sortir du carcan ultra manichéen qui m'avait toujours énervé sur le reste de la saga.
Enfin, l'humour est effectivement trés présent, et je ne l'ai jamais trouvé déplacé. Au contraire de Rogue One par exemple, ou les quelques tentatives d'humour m'ont gonflé plus qu'autre chose, où certaines vannes des films Marvel font forcés et ne sont la que parce c'est la Marvel way de faire des films, ici, l'humour est globalement bien intégré, et quelques passages sont absolument hilarants, sans jamais nous sortir du film. L'humour dans un film ou une série n'est pas seulement là pour alléger la tension ou juste déconner un peu, au contraire, il peut-être là pour l'exacerber. Les exemples sont nombreux, mais c'est pour ça que Scrubs ou Futurama ont fait chialé bon nombre d'entre nous. Un moment drôle, ca distrait le spectateur, mentalement comme physiquement, et la chute qui peut suivre n'en est que plus forte. Et ça marche assez souvent dans ce Star Wars. Un exemple, c'est la scéne de la représentation de la Force. La blague juste avant permet de sortir le spectateur du moment, lui qui s'attend justement à une scéne mystique et classe á ce moment-lá. Hors quand on s'y attend, on est deja en train de descendre la pente émotionnelle que la scéne va nous faire prendre. L'humour permet ici de casser cette attente, faire remonter l'insouciance du gars en face pour directement le faire basculer dans le mysticisme stylé de la scéne en question. Simple, mais ça marche pour peu qu'on soit pas réfractaire à la technique.
Evidemment, il y a quelques points négatifs : en premier, et je le regrette, il y a le général Hux. J'adore Domhnall Gleeson. C'est un acteur incroyable. Mais la, non, juste non. Son interprétation est ridicule. Et j'ai franchement du mal a croire que personne n'ait rien vu dans le staff. J'en déduis donc que son cabotinage au dernier degré est voulu, et j'ai franchement du mal à comprendre pourquoi. En plus, j'ai l'impression que son maquillage a bien changeé entre le 7 et le 8 pour le rendre encore plus ridicule. Ou alors c'est l'éclairage du film qui, en changeant d'un film a l'autre, a révélé le chelou du look du gars, mais á ce moment lá fallait s'en rendre compte et changer. Je suis également un peu déçu que
Ben reste du côté obscur. Plus parce que l'alchimie entre les deux personnages, et la scène ou ils combattent ensemble,, sont incroyables, que pour une vraie raison scénaristique en fait.
Mais c'est plus du gout personnel et c'est vraiment pas grave, ça reste pertinent quand même.
La scène de Yoda est bizarrement faite : sans être un point négatif, elle est assez spéciale. Tout comme la scène de Leia en mode superman. J'applaudis l'audace de cette scène, vraiment, mais ça arrive un peu trop brusquement, et surtout, comme souligneé par beaucoup, y'a quelque chose d'étrange la-dedans. Je pense que c'est au niveau des CGIs que ca foire.
Le personnage de Benicio del Toro, sans être raté, est pour le coup un peu trop caricatural et contraste vraiment avec l'écriture plus soignée du reste du cast. Encore une fois, rien d’extrêmement alarmant, c'est un secondaire.
Sinon, le film n'est pas exempt d'incohérences/facilités scénaristiques/problémes de logique. Peut-être un poil plus que pour les autres films, même si j'en suis pas certain. Exemple le plus flagrant et le plus con d'entre tous : pourquoi Finn et Rose laissent leur vaisseau sur la plage de Canto Bight tranquille á la vue de tout le monde ? Pourtant, c'est un probléme facile a résoudre : pour justifier le fait
qu'il se fasse choper -chose qui de toute façon n'était pas nécessaire, on pouvait raconter la même chose avec le Codebreaker original, même si je crois comprendre où Rian Johnson voulait en venir avec ça et je l'explique aprés-, il aurait suffi de dire que le casino est muni d'un radar pour détecter les vaisseaux. Finn et Rose aurait pu planquer le vaisseau où ils voulait, de toute façon, ils se seraient fait repérés.
Encore plus simple, leur tenue : les mecs ont pas l'air de rouler sur l'or comparés aux autres. Les videurs ca existe plus dans le turfu ?
Mais voila, maintenant on aborde le plus important, les thémes principaux. Ils sont doubles mais liés, je commencerai par le moins osé : la destruction de l'image du héros en général. Ahh, ils sont pas beaux Han, Luke, Leia, Obi-Wan, tous ces héros dans tous ces récits, SW ou non, qui ne prennent pas forcément les meilleures décisions du monde, qui concoctent des plans a l'arrachée, n'écoutent personne, toujours avec les meilleures intentions du monde bien sur, et qui par miracle, finissent par s'en sortir, aussi désespérée fut la situation initiale ? Rian Johnson vient mettre une carafe d'eau dans notre verre à vin et nous dire que les héros sont fondamentalement imparfaits. Evidemment qu'ils font toujours ce qu'ils font pour la bonne cause. Mais agir pour les bonnes raisons ne garantit jamais le succès. Ainsi, tout le développement de Poe et l'arc avec Rose et Finn se basent sur cette idée. Malgré leurs bonnes intentions, ils ne peuvent pas toujours gagner, et ce plan aux allures improbables et désespérés va arriver à sa conclusion la plus probable : un échec. C'est à mon sens la raison pour laquelle ils n'arrivent pas a pécho le gars original super balêze prévu au départ, mais vont miraculeusement tomber sur un mec qui a les mêmes compétences en détention : RJ nous rappelle a tous ces scénarios désespérés ou comme de par hasard, tout finir toujours par s'arranger pour les héros, même de façon improbable. Je suis pas en train de justifier totalement la chose : narrativement, ça reste maladroit, mais le film a le mérite de faire en sorte que quand il fait des trucs maladroits, c'est au moins pour une raison.
C'est pour cela que Holdo ne dit rien á Poe, ce dernier veut foncer tête baissé et ne se rend pas compte qu'il doit réfléchir 5 secondes. Tout cela est symbolisé par l'exclamation de Finn quand ils se font choper. Je ne sais plus exactement ce qu'il dit, mais il déclare á haute voix qu'ils ont échoué, non pas sur un ton de désespoir, mais sur un ton de surprise. Comme si Finn, à ce moment-là, se savait être le héros de cette histoire et ne pouvait par conséquent pas se foirer. Bah si. Pire, cette acharnement mal placé de nos trois compères est la cause directe de la mort d'une bonne partie des rebelles, puisque c'est á cause d'eux que Hux apprend que des petites navettes de transport se dirigent vers la planéte. Tout ceci améne a la transformaion de Poe á la fin : au lieu de vouloir se ruer vers la baston comme Finn le suggére, et comme il l'aurait surement fait en début de récit, Poe se pose, active ses trois neurones et comprend que Luke gagne du temps pour qu'ils s'enfuient. En invitant tout le monde à le suivre, les autres regardent Leia qui leur dit "What are you looking for ? Follow him !", avant que la caméra ne s'attarde en gros plan sur le sourire esquissé par Leia quand les autres se mettent en marche derriére lui, soulignant qu'enfin, elle voit en Poe non plus la tête brulée, mais le leader dont la résistance a besoin. Et ce message de déconstruction du héros va de pair avec l'autre, plus osé mais aussi plus intéressant.
Cet autre théme est lui porté par l'arc narratif de Luke, Kylo et Rey, montrant ainsi que tous les personnages et leurs arc servent a quelque chose : non seulement RJ nous invite a arrêter de glorifier la figure du héros, mais il nous invite, en plus, à dire STOP à la glorification de Star Wars. Entre Luke qui égratigne souvent la figure des Jedis -et à très juste titre d'ailleurs-, Kylo qui invite Rey, plusieurs fois, à détruire le passé, à le laisser derrière elle pour avancer, pour finir sur la disparition des deux personnages les plus puissants de chaque coté, deux figures anciennes : Luke par son côté personnage mythique et central de la saga originale, et Snoke parce qu'il est visiblement vieux et qu'il incarne LE mal tel que décrit avec Palpatine. Ces deux personnages ne sont finalement pas les principales figures de cette trilogie, pour nous dire que le passé est révolu et qu'il faut avancer. Johnson n'insulte pas non plus la prélogie et la trilogie originale, Luke reste incroyablement classe et sage, c'est bien lui, et non Rey, Finn ou Poe, qui save the day à la fin, tout comme Snoke est effrayant et ultra-puissant. De plus, celui qui veut tuer le passé -et l'a fait littéralement avec Han Solo dans le 7- est devenu l'antagoniste de cette saga. C'est bien que Rian ne veut pas cramer tout ce qui s'est passé avant pour repartir du zéro. Simplement, il faut savoir accepter que SW peut changer, se transformer, faire des choses différentes avec des personnages nouveaux. Rey en est la parfaite illustration : ses parents sont des randoms. Elle ne vient de nulle part en particulier, alors qu'elle se rattachait désespérément depuis un film et demi à son passé.
Ces deux thémes sont incroyables. Dans une saga tellement manichéenne et simpliste dans ses propos, RJ a voulu nous seulement explorer des messages nouveaux et pertinents, mais en plus, des messages qui remettent en cause le spectateur même qui regarde son oeuvre. Loin d'étre trop tendre avec lui sans étre agressif pour autant, Johnson prône le lacher prise, l'acceptation des failles de nos héros, de nos mythes, dans SW comme dans le reste. Quelle réalisateur peut se targuer de remettre en place son public, d'autant plus dans une saga aussi populaire ? Au-delà même de Star Wars, ce message est profondément utile dans une époque où la pop-culture est de plus en plus glorifiée -ce n'est pas pour rien si Ready Player One a autant eu la côte- et compte de plus en plus de fanatiques, pour qui le comics ou le jeu vidéo original a remplacé la bible. Un mouvement grandissant, réfractaire au changement, qui ne voit pas dans les adaptations, les suites, les prequels ou les reboots, une occasion de changer, d'apporter un point de vue différent, d'être original, mais uniquement un moyen de rendre hommage à leurs oeuvres fétiches et à leur public, et donc quelque part à eux-mêmes.
Et enfin, je tiens à rendre un énorme hommage à la scène de fin. Pu***, cette scène est absolument parfaite. Élégante dans son propos comme dans sa mise en scène, c'était la meilleure façon de clôturer le film. Cet enfant esclave qui va passer son balais de sa position normale vers une position offensive, comme une insurrection, est incroyable. D'autant que ce dernier est inspiré d'abord par le récit de Luke, mais surtout par cette bague provenant de Finn et Rose, comme pour souligner une dernière fois l'importance du passé, mais que ce sont désormais les héros du présent qui mènent le récit.
Donc voila. Le film a clairement des défauts, surtout en terme narratif et de facilités scénaristiques, sans être trés dérangeants pour autant. Parce que oui, le plus grand défaut de The Last Jedi reste sans doute la trop grande simplicité de son histoire d'un point de vue factuel, comme je l'ai souligné. Cela fait grosso modo un an que le film est sorti, et alors que le film a été globalement trainé dans a boue à sa sortie, il n'est pas du tout prés d'une réhabilitation méritée. Une réception aussi brutale du film est, selon moi, dangereuse pour le cinéma grand public et les reboots/adaptations/sequels/prequels, parce qu'elle invite les producteurs et réalisateurs à privilégier la voie la plus simple, la moins originale, la plus banale, la plus fan-service, à une approche créative et nouvelle. Comment peut-on espérer que les producteurs aient envie d'oser de nouveau quand on voit le petit scandale qu'a provoqué TLJ chez les fans ? La preuve, c'est que c'est de nouveau JJA de retour pour le IX, celui responsable du pas mauvais, mais franchement banal SW7. Ce n'est pas malheureusement pas la premiére fois que cela arrive ces derniers temps, avec par exemple le rejet d'un BvS imparfait mais terriblement plus qualitatif qu'un Civil War adulé, et pourtant terriblement calibré. Les choses ne semblent pas aller dans la bonne direction. Et si demain, toutes les adaptations ou suites/prequels de licence connues et aimées ne sont que des copier/coller de ce que le public attend et du matériau de base, il ne faudra pas venir s'en étonner. Reste que malgré ses défauts, The Last Jedi, lui, est un grand Star Wars. Et peut-être le plus grand.