Les derniers films de Claire Denis ont souvent laissé de marbre les spectateurs, et même les admirateurs de la cinéaste. Après un long métrage co écrit avec Christine Angot, qui était intéressant mais somme toute assez bancal, la réalisatrice continue de piocher dans les codes de son cinéma pour livrer un film qui dispose à la fois des qualités propres à elle, mais aussi des défauts que l'on a tendance à retrouver. Il n'empêche que Stars At Noon est un film qui ne laisse pas indifférent.


Vendu comme un thriller dans sa bande annonce, le film va poser son ambiance dans un Venezuela caniculaire, où une prétendue journaliste, Trish, se révèle être très vite une opportuniste bizarre aux intentions douteuses. Et quand ce personnage croise le chemin d'un autre encore plus douteux dans ses intentions, Daniel, c'est la foire à la confusion. Et c'est pour moi couillu d'inclure ce procédé dans le récit, souvent très formaté dans ce type de productions. Car Stars At Noon ne délivre jamais de réponses aux problématiques suggérées et énoncées par l'histoire ou par l'ambiguïté de nos deux personnages. Pourquoi Daniel est poursuivi par les autorités du Costa Rica ? Qui est-il ? Que venait faire réellement Trish au Venezuela alors qu'elle semble mépriser le pays et ses habitants ? On ne le saura jamais vraiment. Mais pourtant, le film parvient à être captivant de par sa manière à capturer l'ambiance de la ville, de sa chaleur insupportable, et surtout de sa tension politique, avec l'armée à chaque coin de porte, chaque coin de rue. La réalisme de cette ambiance lourde va aussi jouer sur les gens masqués, l'autorité sanitaire en pleine période Covid, qui cache les visages. Claire Denis parvient donc à créer une tension permanente du contexte dans lequel évolue Trish et Daniel, sans jamais chercher à délivrer un discours explicite ou dénonciateur, bien que le point de vue s'accentue surtout sur l'impérialisme américain, représenté par la journaliste qui, à travers une colère forte, n'hésite pas à hurler en menaçant les autorités, que les tanks de son pays (donc les USA) viendront les ravager et les détruire. Mais cette question de l'impérialisme est vraiment sous entendue et participe au fond du film, comme tout le reste que j'ai pu citer, dans la manière qu'a Claire Denis à prendre le temps de filmer cette errance sans fin, et sans objectif, notamment dans la pauvreté du pays. Mais ça ne sera pas le cœur de Stars at Noon.


La relation qui va s'établir entre nos deux protagonistes ne joue sur rien si ce n'est l'attirance physique qu'ils s'accordent, raison pour laquelle la réalisatrice prend le temps de filmer les corps faisant l'amour, suintant, avec des mains, des mouvements amples, des positions. Le sexe est magnifié dans le film de par sa simplicité d'exécution, ce qui rend des scènes remplies de désir, sans que ça soit jamais romancée sur la forme. Et c'est cette relation incompréhensible, dans un univers instable, qui va transparaître dans le récit. On ne sait pas qui sont ces personnages, on ne connaît pas leurs intentions, on ne sait pas si l'un cache quelque chose à l'autre, mais ils s'aiment, et ils feront tout ensemble. Cela donne un aspect survivaliste à la relation, notamment lors qu'ils cherchent tous les deux à fuir vers la frontière : plutôt que de montrer ça comme un thriller, Claire Denis va prendre le temps de filmer leur désespoir, entre les nuits à dormir par terre et à se faire des câlins, les moments de tension lorsqu'il faut se faire tester au Covid, l'apparition d'un agent de la CIA.. Tout ça est intéressant et participe à la galère constante que nous fait subir le film, comme une grosse suffocation de deux heures, où deux personnages d'une grande ambiguïté se déchirent. Le jeu étrange des deux acteurs est d'une grande justesse à ce niveau là.


Il a donc de très grandes qualités, mais ses défauts viennent plomber un peu le tout : le fait que toutes les problématiques soient survolées constituent une distance permanente entre le spectateur et les conditions des personnages, ce qui fait qu'il est difficile de réellement s'immiscer dans leur quotidien, bien qu'ils soient touchants lors des moments de sexe ou de danse, qui sont filmés comme des pauses dans le temps. Son rythme lancinant et parfois un peu mou, en particulier vers la fin, dresse une austérité qui pourrait être un point fort du film, mais ne semble pas s'assumer entièrement puisqu'il apporte cette romance passionnelle qui éveille le désir. Mais comme on est très distant par rapport à eux, car on ne les connait jamais, il est difficile d'établir une quelconque empathie. D'autant que Trish est particulièrement détestable de par son mépris cru envers la population. Est-ce une intention de Claire Denis de nous perturber là-dessus ? Toujours est-il que cela crée une distance, et le fait de ne jamais s'y attacher fait qu'il n'y a pas de variante dans le mépris qu'on peut accorder au personnage.


Stars at Noon est donc un film un peu en demi teinte qui a des qualités hypnotiques, un rythme lancinant de désir et une ambiance caniculaire très bien retranscrite dans la mise en scène, mais la distance entre les personnages et leurs conditions participe à créer une austérité constante qui n'évolue pas beaucoup, ce qui rend le film un peu long. Mais sa manière de filmer cette errance reste en tête, et on retrouve dans cet effet, le point fort du cinéma corporel et lent de Claire Denis : il ne laisse jamais indifférent.

Guimzee
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le 30 juin 2023

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