Dès les premières minutes, Steve vous entraîne dans un tourbillon de tension et d’aspérités — un cadre où les rapports de force, les douleurs intérieures et les rêves brisés s’entrechoquent avec une violence sèche. Le film, adaptation du roman Shy de Max Porter, déplace habilement le centre narratif vers le directeur d’établissement, incarné par Cillian Murphy, dont la présence charismatique élève le projet bien au-delà de ses écueils structurels.
Murphy campe un Steve épuisé, à la fois bienveillant et à bout de forces, dirigeant une école de redressement pour adolescents en crise dans l’Angleterre des années 90. Sous les apparences d’un éducateur engagé, se cache un homme rongé par ses propres démons et contraint de maintenir un semblant d’autorité dans un huis clos délabré. Sa relation fragile et complexe avec Shy (Jay Lycurgo), élève silencieux chargé d’une colère intérieure, constitue le cœur battant du film. Par moments, le script manque de finesse dans la psychologie des personnages secondaires — ils ne restent trop souvent présentés que par leurs traits —, mais Murphy et Lycurgo insufflent une intensité vivante à leurs échanges, rendant palpables les espoirs et les fractures.
Le film déroule ses 24 heures fatidiques en balayant le décor de l’établissement: couloirs oppressants, altercations spontanées, effets de caméra nerveux. Le tournage façon caméra portée donne une urgence bienvenue, tandis que des instants plus contemplatifs offrent des respirations nécessaires. Le contraste entre le chaos et la pause rend les moments d’émotion d’autant plus saisissants. Toutefois, l’irruption d’une équipe de télévision filmant l’école, ou les envolées hallucinatoires de Steve, témoignent parfois d’un désir trop appuyé de « mise en scène », au détriment d’une progression dramatique plus subtile.
Techniquement, le film n’est pas en reste. La direction artistique restitue un cadre criblé de poussière et d’usure, renforçant une atmosphère sur le fil du rasoir. Le choix d’une musique club des années 90, investie comme une énergie pulsatile, révèle une dissonance productive entre la violence souterraine des élèves et la tension structurelle de l’institution. Un plan marquant: Shy, marchant à travers le reflet de Steve sur une vitre embuée, devient métaphorique — deux figures mêlées, deux solitudes qui se mettent en miroir. Ce genre de moment visuel rappelle que le film peut atteindre une poésie austère quand il s’attarde après le tumulte.
Si l’intention dramatique est souvent ambitieuse, le récit éprouve quelques limites. L’équilibre entre l’ampleur du récit et le temps imparti laisse peu de place à certains développements. Le personnage central domine si fortement que les autres, malgré des acteurs solides comme Emily Watson ou Tracey Ullman, peinent à s’imposer pleinement. Le film convoque des idées fortes — sur l’échec du système éducatif, la résilience, la douleur — mais il ne les explore jamais toutes avec une profondeur équivalente.
Pourtant, Steve séduit par son intensité électrique, sa sincérité dans le portrait d’un homme acculé, et la présence magnétique de Cillian Murphy, capable de rendre un silence aussi parlant qu’un discours. C’est un film qui se ressent plus qu’il ne se comprend toujours pleinement, un ouvrage à demi imparfait mais puissamment vivant.
Steve est sans doute l’un des films les plus saisissants de cette année: une œuvre rugueuse mais vibrante, parfois excessive, mais toujours sincère. Si le texte narratif ne parvient pas à envelopper chaque personnage d’une épaisseur équivalente, l’interprétation, l’atmosphère et quelques instants lumineux en font un parcours cinématographique mémorable.