(Attention, spoile la première partie du film)


La filmo de Stuart Gordon aura suivi l'évolution des préoccupations plus sérieuses voire auteurisantes de cinéastes partis du fantastique horrifique le plus débridé pour atterrir dans l'horreur dite moderne et sociale. Stuck clôt ainsi une trilogie entamée en 2003 avec le mésestimé King of the ants et poursuivi deux ans plus tard avec Edmond, l'adaptation d'une pièce de David Mamet (Les incorruptibles, La prisonnière espagnole).
Stuck, c'est l'adaptation d'une traditionnelle histoire "choc" et véridique, qui décrit les trajectoires très différentes de deux personnages que rien ne semble pouvoir réunir. Deux destinées qui vont littéralement se percuter en début de métrage après avoir bien pris connaissance de l'existence de chacun des deux personnages.


Attention résumé succinct de la première partie du film :
Brandy, une jeune femme bien sous tout rapport, employée dans un hospice s'apprête à être promue chef de service tandis qu'un pauvre loser subit les retombées d'une administration sociale incapable de la moindre compassion envers les pauvres chômeurs sans couverture sociale. Ainsi, Tom Bardo est-il désigné d'office comme le martyr d'une société inhumaine, le voyant d'abord perdre son logement puis ses aides et son statut social en une seule journée de merde. Ce qui le conduit à passer sa première nuit à la belle étoile en tant que clochard officiel. Lequel se fera un allié fugace en la personne de Sam (l'oncle ?), vieux clodo rompu au vagabondage, seul véritable semblant d'humanité jusqu'à présent. En parallèle, nous avons donc Brandy, l'aide-soignante pleine d'abnégation, à voir comme elle s'occupe de ses patients, et qui se voit miroiter une promesse de promotion. Nous voyons alors le côté moins reluisant de Brandy, quand elle passe une bonne partie de la nuit à fêter sa nomination dans l'ambiance chaleureuse d'une boîte craignos, tout en ingurgitant à la volée un nombre incalculable de cachetons d'ecsta et autres cames illicites comme autant de smarties, fournis par son bienveillant petit-ami dealer, Rachid. Lequel au passage, affirme tout en gouaille être rompu à tous les exercices criminels, homicide compris.
Suite à la java, Brandy se persuade d'être en état de conduire pour rentrer chez elle alors qu'elle a la démarche chaloupée d'une ivrogne au dernier degré. Son doux prince lui promettant de passer la voir un peu plus tard dans la nuit, c'est sur cette tendre promesse qu'elle prend sa voiture et rappelle son mec plusieurs fois en route pour lui demander d'apporter des chips en plus de l'alcool et de la came. Il est deux heures du mat. Concentrée sur son téléphone alors qu'elle roule dans une large avenue déserte, elle percute de plein fouet, le brave nouveau clodo qui traversait sans regarder. Lequel est... Tom Bardo, je vous le donne en mille. Terrifiée, poussant une série de petits cris aigus, propres à réveiller toute la rue, Brandy, prend donc la direction de l'hôpital dans l'intention de déposer ni vu ni connu le pauvre gars inconscient qui s'est méchamment encastré dans son pare-brise et dont le sang commence à bien tâcher le siège du mort. Las, elle renonce à son intention première, dérangée par une équipe d'urgentistes à deux doigts de la surprendre. Elle a alors l'excellente idée de ramener sa voiture chez elle, de la garer en toute sécurité dans son garage, clochard compris et de faire dans un premier temps comme si de rien n'était en s'envoyant en l'air avec son petit-ami dealer, tout en espérant que le type canne dans son garage durant la nuit. Mais au petit matin, le gonze toujours confortablement installé dans le pare-brise, mi-capot, mi-tableau de bord, est toujours vivant, le saligaud, malgré l'essuie-glace qui lui chatouille méchamment le rein. Celui-ci à nouveau conscient, demande à Brandy de l'aider, elle ment effrontément en lui disant qu'elle va le faire tout en l'incriminant au passage d'avoir traversé la route sans regarder.
Je ne vais pas spoiler le reste, mais croyez-bien qu'en 85 petites minutes, le métrage aligne les situations et réactions absurdes et donc improbables à la louche.


Vous l'avez compris, Brandy est une conne (au péremptoire) et c'est encore un euphémisme, tant son degré de bêtise s'aligne avec le François Pignon du Dîner de cons. Pour ceux qui en douteraient, je les invite à voir ou à revoir son geste ultime en fin de métrage, car là vraiment on navigue dans de la connerie de compétition.
Certes, elle n'est pas totalement méchante, puisqu'on la voie bien s'occuper d'un vieillard incontinent en début de métrage. A part ça, dès que quelqu'un vient se planter dans son pare-brise, il n'y a plus que sa promotion qui compte. L'homme a beau agoniser dans son garage, hors de question de reconnaître en ce clodo une vie humaine qui vaille la peine d'être sauvée au point de sacrifier son si bel avenir. Tous ses gestes pourront être facilement vus comme guidés par la peur, une trouille maladroite et cruelle, qui devient, il faut l'avouer, de la simple cruauté quand elle fait de Rachid son complice en vue d'une exécution en bonne et due forme.
Sauf que celui-ci est tout aussi con qu'elle, la différence étant qu'il n'arrête pas depuis le début de se vanter d'être un criminel homicide aguerri (et donc l'homme de la situation), ce qu'il n'est évidemment pas, vu sa réaction première à la vue du corps ensanglanté de Bardo.


Au premier abord, le pitch du film est intriguant, il est vrai (il m'a intrigué moi), voire alléchant (il m'a même alléché). Un huis-clos insoutenable, une confrontation psychologique et non-manichéenne entre deux personnages qui n'auraient jamais dû se rencontrer (ça c'était le film tel que je me l'imaginais). Autant de choses qu'aurait pu être Stuck mais qu'il n'est finalement pas.
L'histoire est traité de manière grossière, comme une dénonciation simpliste du système déshumanisé dans lequel se vautre l'Amérique moderne. Au point de pousser une gentille aide-soignante a souhaiter la mort d'un pauvre couillon. Au point même qu'une famille d'immigrés chicanos, avoisinant le garage, décide, par peur de s'attirer les foudres de l'immigration, d'ignorer purement et simplement le mec encastré dans la bagnole du garage d'à côté qui ne cesse de martyriser le klaxon de la-dite caisse et donc de manifester sa présence à tout le quartier.
Des personnages positifs dans le film il y en a deux, le clochard Sam, lequel appelle des flics, occupés à le contrôler inutilement, à s'intéresser à la bagnole dans laquelle s'est encastré un homme et qui passe juste derrière eux. Mais les flics on le sait, ils sont obnubilés par les sans-abris (film non-manichéen). Le second perso vaguement humain, c'est le petit latino qui veut à tout prix sauver Bardo et que son père gronde en lui enjoignant de la boucler, que c'est pas bien de se mêler des affaires des autres.
Là où le métrage aurait pu gagner en crédibilité en humanisant un tant soit peu ses personnages, il échoue lamentablement en alignant une galerie de stéréotypes à une série de péripéties absurdes et grotesques dont on peut vraiment douter de la véracité.
Bardo attire inévitablement la sympathie tant son chemin de croix parait aussi atroce qu'abusif. Il est traité de manière abstraite par Gordon dès le début du récit, quand on voit que sa seule photo-souvenir témoigne d'une existence vide de sens et de proches.


Le film est-il un échec total ? Faut pas exagérer. Gordon a de l'expérience et de la bouteille, en plus d'un statut de réalisateur culte quand même. Son introduction montrant la vie dans un hospice, un ballet de vieillards sur fond de musique hip-hop témoigne de sa volonté de briser certains schémas établis. Il pousse l'audace plusieurs fois dans son métrage, jusqu'à montrer une scène de coït sauvage au bout duquel l'orgasme explose en parallèle avec le souvenir de la collision entre la voiture et Bardo.
L'interprétation sans atteindre les cimes du métier, est plutôt bonne. Une gageure tant il est difficile de donner corps à des personnages aussi abstraits. Mena Suvari alterne parfaitement les expressions de bêtise crasse, de surprise horrifiée et de détermination cruelle. Quant à ce vieux briscard de Stephen Rea, il est irréprochable tant l'essentiel de son interprétation se repose sur le calvaire d'un personnage malmené durant tout le film. Le reste du casting assure son boulot sans plus.


Ce qui est donc grandement dommageable au film de Gordon, c'est son traitement archi-simpliste, à la fois des personnages et des événements. Stuck se repose sur deux parcours radicalement différents et largement sous-traités qui se rencontrent en une situation horrible et incongrue. Cela aurait pu passer pour avoir été une histoire vraie si les personnages n'avaient pas été de simples caricatures. Au vu de la filmographie de Gordon, c'est une véritable déception.

Buddy_Noone
4

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le 21 mai 2014

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Buddy_Noone

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