Sub
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Sub

Court-métrage de Julien Loustau (2007)

Sub est une expérience limite, un vertige étonnamment gratifiant, une petite merveille sans équivalent, à la frontière entre la science-fiction, l'art vidéo le plus abscons et le documentaire.


Il pousse à l'extrême la rupture entre le son et l'image : Une voix-off monocorde nous raconte très sérieusement l'exploration (imaginaire en 2008) du plus grand lac subglaciaire d'antarctique : le lac Vostok. Nous sont alors décrits les partenariats internationaux qui ont menés aux premiers carottages, les craintes et les espoirs suscités par une première rencontre avec cette eau pure et vierge de tout contact avec la surface depuis 14 millions d'années, puis la longue descente du "cryobot", hypothétique sonde adaptée à l'hostilité des éléments envoyée vers les profondeurs du lac.
A l'image, un interminable travelling dont l'horizontalité créé la dissonance avec la longue descente vers l'inconnu dont nous berce le commentaire. Le grain est omniprésent, un point de lumière balaye une surface dont on peine à distinguer la nature. L'imagination fonctionne à plein, à la recherche d'un lien sémantique entre ce qui est vu et ce qui est entendu. Ainsi la sensibilité du capteur numérique poussé aux limites de ses possibilités renvoi aux photos noires, étoilées ou pleines de reflets que le cryobot prend de sa descente vers l'inconnu... Autant d'indices que nous scrutons et qui ne nous disent rien, si ce n'est qu'ils témoignent de la diversité des strates explorées.
Alors la tâche lumineuse s’élargit : ce sont des berges que nous longeons lentement. Peu à peu apparaissent des habitations. Contre toute attente nous ne sommes pas en antarctique. Trop tard, le lien est fait, et doit être maintenu, par tous les moyens, ouvrant un espace inattendu entre deux lieux, deux trajectoires, deux espaces.
Ainsi l'immobilisation du cryobot dans la vase du lac Vostok entre en résonance avec l'apparition à l'image du barrage des Trois-Gorges, mettant fin aux travellings le long des berges. Au lac sub-glaciaire, espace inconnu, réceptacle immaculé d'un passé dont la découverte passionne la science et dont l'idée même de l'exploration évoque un futur fascinant, répond par une sorte de symétrie en négatif le contexte du barrage chinois, entrainant la submersion de milliers de villages, de sites archéologiques millénaires et la création d'un lac artificiel.


Sub, avec presque rien, provoque un singulier télescopage d'images et de sensations à la portée poétique indéniable, et dévoile à rebours sa dimension politique (seul un carton placé à la fin nous indique de quel barrage nous venons de voir les images). Et pendant que l'humanité trace son chemin dans l'eau, à travers l'espace et le temps, scrutant la glace ou faisant table rase de son passé, dans les profondeurs tournent d'immémoriales créatures dont les ombres envahissent un dernier plan sous-marin à la fois magnifique et inquiétant.

Tom_A
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le 28 déc. 2015

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