Le dernier plan séquence de Sunset est somptueux avec cette caméra qui chemine dans les boyaux des tranchées de la guerre de 14 pour se terminer sur un visage où se lit toute la détresse d'une fin du monde. Et c'est bien de cela que nous entretient Laszlo Nemes dans son deuxième long-métrage, après le choc du Fils de Saul. Sa méthode est restée la même avec ces deuxièmes plans presque systématiquement flous où l'on devine une agitation extrême. Dans Sunset, il s'agit du Budapest de 1914, perle de l'empire austro-hongrois qui rivalise d'élégance avec Vienne. Et du point de vue formel, le film est une merveille d'esthétisme et de raffinement (à noter aussi un époustouflant travail sur le son), pour mieux montrer combien les parfums de la décadence sont souvent les plus suaves. "Votre chapeau, s'il vous plait", telle est sans doute la phrase que l'on entend le plus souvent dans Sunset, tant ces dames, notamment, rivalisent pour porter le couvre-chef le plus excentrique qui soit. L'idée de donner le premier rôle à une chapellerie et à l'une de ses modistes est excellente car on y croise la meilleure société, du genre de celles qui dansent sur un volcan. Cette atmosphère très Mitteleuropa est magnifiquement rendue par Laszlo Nemes, c'est un fait indéniable, mais il faut bien en venir à ce qui cloche dans le film et il ne faut qu'une petite heure pour s'en rendre compte (soit même pas la moitié de la durée totale) : c'est le scénario. Malgré de bonnes bases de départ, celui-ci s'égare en effet dans une confusion qui ne se démentira plus où l'on devine des complots et des faux-semblants sans pour autant pouvoir les éclaircir. On a le sentiment très net que cette opacité est volontaire pour borner une époque qui se ment à elle-même. Mais le grand perdant, c'est le spectateur, qui cherche à comprendre les pistes du récit et n'est pas loin de trouver toutes les richesses du film assez vaines, en définitive. Mais pas complètement, quand même, parce que le talent de Nemes est irréfutable, mais on attend de lui à l'avenir qu'il rende ses intrigues aussi fluides que ses images. Et ce sera alors chapeau bas, à nouveau !

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le 8 nov. 2018

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