À Snowbridge – petite ville de l’upstate New-Yorkais – vit Ernst Toller, un ancien aumônier désormais pasteur ayant récemment dû faire face à la mort de son fils, puis à son divorce. Ce personnage meurtri, puisant ses ultimes forces dans la religion, est le point de focale de ce métrage, écrit et réalisé par Paul Schrader. La prise de conscience du personnage vis-à-vis de la thématique écologique, la remise en question des absurdités constituant la base de la structure ecclésiastique pour laquelle il travaille, et enfin la démonstration des dynamiques paradoxales par lesquelles Ernst est caractérisé, constituent la chair de l’univers du film. Un univers glacial, vidé des corps qui devraient l’habiter, mais surtout vidé de son sens.


La proposition de Paul Schrader s’inscrit dans une tradition cinématographique que l’artiste américain maîtrise pleinement : celle du character study . Effectivement, en 1972 il écrivait le scénario de Taxi Driver, chef-d’œuvre de Martin Scorsese et long-métrage prototypique de ce genre filmique : si ce film reste dans les mémoires, c’est grâce à l’écriture fine et précise de Schrader qui donne au personnage principal, Travis Bickle – interprété à la perfection par Robert De Niro – son caractère multidimensionnel, si fascinant.


First Reformed est donc une étude scrupuleuse de Ernst Toller (confié au talentueux Ethan Hawke), pasteur de la première église réformée des États-Unis. À la fin de l’un de ses cultes – donné, pour la énième fois, dans une église presque complétement vide – Ernst est approché par l’une de ses fidèles. Cette dernière, enceinte depuis quelques mois, lui demande de venir parler avec son mari, un activiste du climat qui n’accepte pas l’idée de donner vie à un enfant dans un monde aussi détruit que le nôtre. Au centre de la discussion que Toller aura avec cet activiste – une conversation qui participera à l’éducation du pasteur sur la question du réchauffement climatique – se trouve une question, centrale au long-métrage : « Dieu nous pardonnera-t-il pour tout ce que l’on inflige à ce monde ? ».


Cette interrogation résonnera dans la tête du personnage principal tout au long du film, le menant à prendre conscience, progressivement, de plusieurs absurdités constitutives de l’organisation religieuse dans laquelle il officie : cette dernière est financée presque intégralement par l’une des multinationales qui nuit le plus à l’environnement à l’échelle mondiale. Si le rôle de tout bon fidèle est de préserver et de chérir la création de l’Éternel, alors comment l’Église peut-elle accepter l’argent des responsables de sa destruction ? Ce premier problème en cache un autre, inexorable : celui qui finance a un pouvoir sur ce qu’il finance, l’Église doit alors se plier aux attentes de la multinationale et répéter – à leur tour et dans un énième lieu – la domination de ces entités sur notre monde.


Entre plans fixes et couleurs ternes, le long-métrage qu’a façonné Schrader est d’une froideur terrifiante. La manière dont les dialogues de ce récit sont filmés participe également de cet effet. Effectivement, les champ-contrechamps utilisés pour rendre compte des interactions entre les personnages n’utilisent jamais d’amorces. La caméra se place entre les protagonistes, comme pour appuyer la distance qui les sépare, comme pour montrer que les corps frigorifiés que l’on voit à l’écran ne peuvent pas à entrer en contact car le monde ne fait plus sens.


Dans la cacophonie idéologique du 21ème siècle tout est paradoxal, absurde, dénué de vérité. L’une des jolies trouvailles du film appuie ce fait : Ernst – qui fera de plus en plus attention à la santé de la terre au fil du film – refuse cependant de porter attention à son propre état de santé, en dégradation permanente. Ce dernier remballe violemment ceux qui oseraient s’inquiéter de son bien-être physique. Pour se soigner le pasteur devrait arrêter de boire, donc changer ses habitudes quotidiennes, une chose qu’il semble absolument incapable de faire. Il voit le feu qui brûle la terre, mais refuse, paradoxalement, de s’occuper de celui qui brûle en lui. Une énième absurdité s’ajoute à l’addition de la narration.


Ce film se pose en constat alarmiste, pointant du doigt les multiples contradictions d’un monde qui ne fait plus sens. Cependant, plus que de constater une absence, le long-métrage nous montre aussi les lieux où le sens est encore présent. Car l’on laisse parfois Ernst sortir de sa tête et profiter du sentiment de plénitude qui réside et résidera toujours dans les choses les plus simples. La vérité est alors dans la joie de l’effort physique, dans le bonheur d’un regard égayé qui nous est adressé ou dans la chaleur d’un baiser. Dans ces moments emplis de pureté, la caméra s’envole, sortant enfin de son austère fixité : s’il reste du mouvement, de la vie, de l’espoir, ils sont dans ces instants. Bijou d’écriture, de performance et de réalisation, First Reformed est l’un des plus grands films de ces dix dernières années car – à la manière de Taxi Driver – il rassemble et fait jouer les grandes tensions de son contexte historique.

ColinSchwab
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le 17 déc. 2021

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Colin Schwab

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