"Sur le globe d'argent" est le quatrième film de Andrzej Żuławski, celui qu'il tourne entre "L'important c'est d'aimer et Possession". Żuławski est exclu de la Pologne après son deuxième film, "Le Diable". Le succès de "L'important c'est d'aimer" pousse les autorités polonaises à le faire revenir pour réaliser le film qu'il souhaite. Le cinéma polonais à une forte résonnance à l'internationale à cette période grâce à Jerzy Kawalerowicz ou Andrzej Wajda, dont Żuławski fut l'élève. Le projet devient donc une démonstration de force du cinéma polonais.
Żuławski choisit d'adapter une livre de son grand-oncle et obtient le plus gros budget de l'histoire du cinéma polonais pour l'époque. Le tournage commence en 1976 et dure 10 mois. 10 mois infernaux dans des conditions extrêmes, entre le désert de Gobie, dans une Crimée glaciale pour les scènes de plage et dans la mine de sel de Wieliczka. Żuławski s'emporte et tombe dans la folie qu'il veut dépeindre, passant des jours sur un seul plan, abandonnant son scénario et remplaçant les dialogues de ses personnages par ses propres réflexions inscrites dans son journal de bord. Le budget explose, les acteurs frôlent l'hypothermie, les désertions sont nombreuses et le malaise s'installe face aux sommes dépensées alors que la Pologne est en crise.
Un nouveau ministre de la culture est nommé, Janusz Wilhelmi. Particulièrement hostile à Żuławski, il arrête net le tournage à 3 semaines de sa fin. Żuławski ne peut se défendre, il est privé de l'accès au rush, costumes et décors sont enfouis et il se fait expulser de Pologne, pour la deuxième fois, loin de sa femme et son enfant. Il trouve refuge aux Etats Unis et développe dans un mélange de colère, de désespoir et d'alcool le scénario de Possession.
En 1987, Żuławski est rappelé pour finir le film, le climat politique étant devenu plus clément. Il manque une vingtaine de minutes au film, mais Żuławski ne peut les tourner pour plein des raisons évidentes. Il décide alors de pendre une caméra et de se balader dans les rues en filmant sans autorisation et insère ces images à la place des parties non tournées, accompagnée de sa voix expliquant des éléments scénaristiques. Pour plus de détails sur le conception du film, il faut se tourner vers l'incroyable documentaire : "Escape to the Silver Globe".
Quid du film ?
On entre dans Sur le globe d’argent comme on explore une planète inconnue : à la fois fasciné, terrifié, dubitatif, médusé. Œuvre inachevée, interrompue par la censure avant d’être ressuscitée par son auteur, ce film-monstre est l'incarnation de l'« œuvre maudite ». Il incarne un cinéma qui, à force de vouloir tout dire, finit par montrer sa propre impossibilité.
Adaptant un roman écrit par son grand-oncle Jerzy Żuławski au début du XXᵉ siècle, Andrzej Żuławski s’empare de la science-fiction pour en faire un opéra primitif et baroque. Les images, tournées dans des paysages lunaires, oscillent entre le sublime et le grotesque ; les corps, filmés en plans serrés, les angles aux perspectives renversantes nous embarquent dans une transe extatique. La caméra tourbillonne, heurte, titube : elle est à la fois œil et conscience.
Le récit est une chronique d’une dégénérescence : celle d’un groupe d’astronautes échoués qui, en fondant une civilisation, reproduisent les tragédies de la nôtre : l’asservissement, la religion, la guerre. Żuławski révèle un pessimisme presque désespéré : sur la Terre comme sur ce Globe d'argent, l’homme n’échappe pas à sa propre violence et est condamné à recommencer le même cycle de violence.
Ce qui frappe, c’est moins le fil narratif (haché, partiellement reconstitué par des voix-off) que la puissance des visions : un prophète sacrifié, des foules en transe, des rituels d’une beauté sauvage. Le montage inachevé devient paradoxalement un geste esthétique : le vide, le fragment, la voix qui commente l’absence d’images redoublent le propos du film : la faillite d’une utopie, le constat d’un inévitable retour au chaos.
Sur le globe d’argent est un film impossible, au sens où il porte en lui l’impossibilité même du cinéma de Żuławski. À travers sa folie baroque, ses excès, ses fulgurances, il atteint pourtant une forme de vérité : celle d’une humanité vouée à échouer, mais condamnée à rêver encore.
Difficile de ne pas placer ce film au milieu de films monstres comme Apocalypse Now ou Fitzcarraldo car nous sommes face au genre du type de film dont l'ambition a dépassé le réalisateur et sa capacité à lui donner vie.
Film-monde, Sur le globe d’argent n’est pas qu'une curiosité historique : c’est un geste d’amour et de rage, qui fait du cinéma un miroir fracturé de nos illusions les plus profondes.