Quand j'avais vu "La Religieuse" version Nicloux, cru 2013, les ressemblances avec "Camille Claudel 1915" de Dumont m'avaient frappé, les visionnages étant rapprochés. Rien de tout cela en regardant aujourd'hui la version de Jacques Rivette datant de 1967, marqué sur le plan historico-cinématographique par la censure et la polémique qu'il déclencha — choses totalement ahurissantes vues d'aujourd'hui, tant le film paraît doux et tout sauf violemment anticlérical. Cinq décennies sont passées par-là, je serais curieux de savoir comment on jugera les polémiques d'aujourd'hui en 2070...

Même s'il n'y a plus de surprise quant au contenu de la problématique, cette histoire d'enfermement et de foi vacillante reste malgré tout assez captivante. J'ai la sensation que Rivette est moins caricatural que Nicloux dans le traitement séquentiel des différentes mères supérieures qui m'avait assez dérangé. Ici, toujours la même chape morale et religieuse du XVIIIe siècle, le même semi-emprisonnement contre le gré de la jeune femme, et les mêmes relations avec trois autorités supérieures féminines — compassion / sadisme / saphisme.

Ici c'est un peu une étude de victime face à ses bourreaux, dans des gammes variées, et on appréciera le travail sur l'environnement, les décors, les ambiances. Moins la prise de son (mais peut-être qu'il existe de meilleures versions). Je suis assez partagé entre la rigidité de la dialectique et la pertinence du constat, porté sur les déchirements intérieurs de la protagoniste. Il faut dépasser le côté un peu manichéen ou en tous cas archétypal des principaux personnages secondaires, même s'ils ne servent que de miroir à la solitude et à la douleur de Anna Karina aka Suzanne Simonin. La redondance se fait un peu plus sentir ici, éventuellement, sur une telle durée de 2h20. J'aime bien comment le film parle davantage d'instrumentalisation de la religion que de religion elle-même, avec tout ce que cela suppose en termes d'hypocrisie et de coercition. L'intégrité et l'innocence qui se fracassent contre le mur de l'austérité archaïque, l'oppression prenant différentes formes mais interdisant toujours l'émancipation. Très bonne phrase de conclusion : "Et telle que serait la folie d'un homme qui, ne sachant ce que c'est que la navigation, se mettrait sur mer sans pilote, telle est la folie d'une créature qui embrasse la vie religieuse sans avoir la volonté de Dieu pour son guide".

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le 26 mars 2025

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Morrinson

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