Sweet Dream
Sweet Dream

Film de Yang Ju-Nam (1936)

Sweet Dream (1936) - 미몽 / 48 min.
Réalisateur : Yang Ju-nam - 양주남
Acteurs principaux : Mun Ye-bong - 문예봉; Lee Geum-ryong - 이금봉 ; Yu Seon-ok - 유선옥 ; Kim In-gyu - 김인규.
Mots-clefs : Corée ; Femme Fatale ; Classique.


Le pitch :
Ae-sun est une femme de la petite bourgeoisie qui ne se complet pas vraiment dans le rôle de femme au foyer et de mère de famille. Malgré les querelles avec son mari, elle est bien décidé à profiter de la vie et tant pis s'il faut abandonner son enfant pour autant, le monde n'attends pas !


Premières impressions :
30 octobre 2015, Paris. J'ai osé entrer pour la première fois au Forum des Images. L'endroit m'intimide un peu, mais il est hors de question de rater cette conférence sur la représentation des femmes dans le cinéma coréen, d'ailleurs je ne perds pas une miette des propos de Bastian Meiresonne qui détaille en une heure et demi, et toujours avec humour, l'évolution de la présence féminine dans l'imaginaire de la péninsule. Parmi les extraits de films présentés ce jour-là, Sweet Dream de Yang Ju-nam est le plus ancien et surtout le plus ancien film parlant coréen qui nous soit parvenu jusqu'à nos jour et n'a été retrouvé qu'en 2005 dans des archives chinoises de cinéma. Si quelques autres films parlant ont été réalisés avant celui-ci, les japonais les ont détruits lors de la décolonisation avec l'essentiel des moyens de cinémas. L'extrait projeté nous montre une jeune femme qui se dispute avec son mari et se compare à un oiseau en cage. Dans son commentaire Bastian appuie sur l'esprit néo confucianiste patriarcal qui règne en Corée dans les années 30 et sur une forme d'anti-féminisme qui naît dans la société en réaction à l'idée de "femmes modernes" qui commence à faire son chemin.


L'image de la jeune femme comparant sa maison a une cage dorée m'était restée mais ce n'est que la semaine dernière que Sweet Dream a recroisé ma route tandis que je lisais l'excellent livre édité par la Korean Film Archive "Woman on screen - Understandin Korean Society and Women through films" qui tente de faire le tableau de son propos en présentant huit films, éclairés et critiqués par des chercheuses de différentes universités coréennes. La lecture du livre me poussa à regarder le film en entier et j'ai pu découvrir une œuvre beaucoup plus intéressante que je ne l'aurais cru de prime abord puisque le film de Yang Ju-nam présente la toute première femme fatale du cinéma coréen : Madame Ae-sun.


Revenons en 1936. Yang Ju-nam n'est encore qu'un jeune homme de vingt-quatre ans lorsque le Gyeonsgong Film Studio lui propose de réaliser Sweet Dream. Lui, le garçon entré grâce à des amis comme monteur puis qui est devenu assistant va diriger le cinquième film parlant du studio. Période de colonisation japonaise oblige, le studio appartient à un riche homme d'affaire japonais, monsieur Wakejima, mais s'il faut incruster des sous-titres japonais sur le côté de l'image, le film est bel est bien tourné en coréen et toute l'équipe est originaire de la péninsule. Mieux encore, bien que le cinéma de l'époque soit du cinéma de propagande, Sweet Dream montre une Corée sans le moindre japonais visible et nous plonge directement au sein d'un couple de classe moyenne. Les cadrages sont encore un peu approximatifs et les micros ne sont pas d'une très bonne qualités, mais peu importe.


Particularité du casting, l'actrice principale n'a que 18 ans alors qu'elle doit jouer le rôle de la mauvaise mère de famille. Le choix de Mun Ye-bong a en effet de quoi étonner : fille d'un directeur de troupe de théâtre, la jeune femme avait commencé sa carrière à quinze ans seulement et était réputée pour sa beauté virginale. Jusqu'ici elle n'avait d'ailleurs jouée que des rôles de femmes bien soumises à la tradition, bien sous tout rapport quoi, et la voici qui joue le rôle de celle qui rue dans les brancards du patriarcat. C'est que son personnage, Ae-sun, est diablement indépendante pour l'époque, se comparant à un canari en cage, elle tient tête à son mari et n'hésite pas à sortir, faire les boutiques et pire, se laisser draguer et prendre un amant ! Son mari a beau la menacer de divorcer, la belle accepte sans gêne ne voyant que la possibilité d'une liberté nouvelle et de pouvoir vivre avec son amant. Elle abandonne sans vergogne son rôle de mère, va au théâtre, fume au lit, se rend au premier salon de coiffure du pays et quand elle se rend compte que son amant n'est pas l'homme de bonne situation qu'elle imaginait et qu'il s'avère être un petit voyou, elle le dénonce à la police et s'enfuit en taxi ! "Vite, vite !" dit-elle au chauffeur tandis que la voiture file vers la gare ferroviaire symbole de salut pour la belle indépendante que l'on imagine déjà s'enfuir vers de nouvelles aventures.


Hélas, nous sommes en 1936 et il n'est pas question de montrer une femme aussi indépendante avec un destin heureux.


Le taxi heurte une petite fille, SA fille, et Ae-sun de revenir à une forme de réalité. Amenée à l'hôpital, Ae-sun doit faire face à fille blessée et là, devant le lit, elle avale une fiole de poison tandis que son mari vient pour la tuer, pistolet bien viril à la main


. Dernier acte de liberté ou rétablissement du patriarcat ? Difficile de savoir ce qu'en a pensé le public de l'époque car si la bonne morale voulait que le destin frappe l'impertinente et qu'il fallait montrer qu'il arrivait malheur à celui qui se soulevait contre l'oppresseur pour prendre sa liberté, il n'est pas impossible d'imaginer que certaines femmes qui ne pouvaient que rêver de cette liberté auraient vu là une dernière insulte jetée à la face du patriarcat.


Pour les curieux que les spoilers n'auront pas refroidit, sachez que le film est disponible sur la chaine youtube du Korean Film Archive en sous-titre anglais et qu'une version DVD en sous-titre français existe au sein de coffrets thématiques édités par le même organisme même si je n'ai aucune idée de s'il est possible de les acheter ou non en dehors de la Corée.

GwenaelGermain
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le 27 juin 2019

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