Petits fugitifs dans la Nuit du Chasseur

Film indépendant dans son expression la plus authentique et ce que le genre offre de meilleur : quelques milliers de dollars, beaucoup d'énergie et d’amour du cinéma, tourné avec une petite équipe, femme, fils et fille du réalisateur pour limiter le budget, leur familiarité conférant au film une chaleur naturaliste; exemple étonnant du peu de moyens dont on peut avoir besoin pour créer quelque chose de fort, émouvant et beau : deux enfants charismatiques, quelques acteurs au talent contagieux et un scénariste/réalisateur habile et empathique.


À partir du thème déjà bien exploité d’enfants en fugue, le réalisateur Alexandre Rockwell offre un conte poétique, ode douce-amère à l'enfance difficile, encore riche d'innocence et d'imagination. L'histoire tourne autour d’un frère (Nico) et de sa sœur (Billie), ainsi prénommée en hommage à la légende du jazz Billie Holiday. Ils se battent pour trouver une place entre leur père aimant et drôle mais alcoolique (Adam) et leur mère négligente (Eve), partie s’installer avec un macho violent et prédateur. Les enfants finissent par s'enfuir. Leur route croise celle d’un garçon du quartier lui aussi aspirant fugueur. Pour la première fois, ces petits fugitifs ne vont être responsables que d'eux-mêmes.


Dans la forme, Rockwell nous rappelle intentionnellement la riche histoire du cinéma indépendant américain. Tourné en 16mm, majoritairement en noir et blanc brut, granuleux, au contraste élevé et fermeture à l'iris. Seules de furtives et occasionnelles séquences oniriques technicolors lorsque Billie pense à sa mère absente, et à de rares moments de bonheur passés. Les images de Rockwell constituent une forme d’hommage à l’histoire du cinéma, fait de clins d’œil et de résonances. Les premières images nous projettent dans Le Kid de Chaplin, puis on pense bien sûr à La Nuit du Chasseur, avec en référence revendiquée les “Children ! Children !” lancinants appels modulés de Robert Mitchum cherchant les enfants. On pense aussi au Petit fugitif de Morris Engel et Ruth Orkin , à Jarmusch, ou aux grands films Noir& Blanc de Cassavetes.


Rockwell transforme avec magie la confrontation d’une paire d’ados à une famille dysfonctionnelle dans le paysage industriel rouillé de New Bedford, Massachusetts, en une ode poétique, merveille de légèreté et de tendresse. Il y a une forme de grâce émouvante dans l’intimité touchante entre frère et sœur ; c’est tendre, poétique et brutal à la fois, rempli de poésie vagabonde et surréaliste. . Et parvient aussi subtilement à rendre hommage au mouvement Black Lives Matter.


A quoi la bande son rajoute une touche de nostalgie. Et lorsque le générique de fin défile, Billie prise entre l'innocence et l'expérience, promet "Je ne vieillirai jamais, jamais, jamais aussi vieille » reprenant les derniers vers du Sweet Thing de Van Morisson qui donne son titre au film


« And I will walk and talk
In gardens all wet with rain
And I will never, ever, ever, ever
Grow so old again.
Oh sweet thing, sweet thing”


https://www.senscritique.com/album/Astral_Weeks/1322279

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le 14 juil. 2021

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