Culotté, risqué, osé, audacieux, ambitieux...récompensé !

[Vu dans le cadre de la Berlinale 2019]
Il est de ces paris cinématographiques risqués, voire insensés, qui n'hésitent pas à bousculer le spectateur quitte à le faire vibrer ou alors tomber !
"Synonymes" fait partis de ceux-ci, de ces films totalement inclassables faisant preuve d'une originalité sans pareille qui se révèle tout aussi risquée qu'effrontée. Or l'audace au cinéma est quelque chose qui, à mon sens, se doit d'être saluée tant les réalisateurs qui s'aventurent sur ce terrain ardu sont tout aussi rares que celui-ci compte peu d'élus. Très souvent, le risque pris peut en effet se retourner contre son auteur et ne vaut bien souvent pas la lourde peine encourue qu'un public désarçonné et déboussolé n'hésite alors jamais à prononcer !
À ce titre, son réalisateur Nadav Lapid fait ainsi inévitablement penser à tous ces réalisateurs français issus de la Nouvelle Vague qui n'ont pas hésiter à casser et à renverser tous les codes mais aussi, tout particulièrement, à des réalisateurs comme Robert Bresson avec "Pickpocket" (1959) ou encore Jean Eustache à qui on doit "La Maman et la Putain" (1973). Lapid a fait en effet le choix, ô combien risqué, d'adopter ce partis-pris consistant à jouer volontairement "faux" et à ainsi faire en sorte que ses acteurs (et tout particulièrement Tom Mercier) déclament leurs dialogues d'une façon beaucoup trop théâtrale pour que ceux-ci soient véritablement pris au sérieux et par là même que l'illusion de la fiction puisse alors prendre vie et ainsi revêtir l'apparence de la réalité. Force est d'avouer qu'il est par conséquent nécessairement très difficile dans ces conditions de conquérir et d'obtenir l'adhésion du public par le biais d'un tel procédé tant la distance inévitable qui se crée du fait de cette manière étrange de jouer et de déclamer peut s'avérer fatale. Cela peut effectivement donner lieu à un rejet absolument total et même radical de la part du spectateur (comme c'est d'ailleurs généralement le cas me concernant) et pour ma part je suis persuadé que la frontière séparant le fait de jouer volontairement "faux" et de tout simplement "mal jouer" s'avère somme toute vraiment très mince (je ne peux m'empêcher de penser à ce titre au film de Yann Gonzalez "Un couteau dans le cœur" et à la performance désastreuse de Vanessa Paradis qui anéantit selon moi complètement tout son propos). Ici cependant, force est de constater que ce procédé trouve une réelle cohérence en raison du fait que son personnage principal Yoav est un jeune émigré israélien qui a fait le choix de venir vivre en France et d'aller jusqu'à dorénavant refuser de parler sa langue natale pour par là même être en mesure de mieux apprendre le français.
Alors personnellement je me refuse à évoquer ici l'aspect très politique du film et à entrer dans ce débat extrêmement polémique concernant le conflit israélo-palestinien. Tout simplement d'une part parce que désolé mais je m'en fiche totalement, et d'autre part parce qu'à mon sens ce n'est vraiment pas ça qui m'a marqué ni même intéressé car la force du film, de mon point de vue, réside essentiellement dans le fait qu'il parvient, à l'image de son personnage principal, à nous déraciner. Non seulement par le biais d'une mise en scène ultra théâtrale mais également au moyen d'une caméra innovante qui n'hésite pas à casser tous nos repères en filmant ce personnage éperdu sous les angles très certainement les plus improbables qu'il m'ait été donné de voir sur grand écran. On s'identifie ainsi d'autant mieux à lui et on comprend alors de plus en plus les choix qui sont les siens ainsi que cette manière qu'il a de crier la fureur de vivre qui l'habite quand bien même cela le conduirait à passer pour un fou aux yeux des gens autour de lui.
Alors oui effectivement, c'est très certainement l'émigré le mieux foutu que vous pourrez voir de votre vie et l'acteur s'apparente vraiment plus à un mannequin Hugo Boss qu'autre chose c'est certain. Au passage, je ne pense d'ailleurs pas avoir déjà eu l'occasion d'observer autant de tension sexuelle dans une salle de ciné depuis "Shame" avec Michael Fassbender. Cependant en ce qui concerne justement ce point, ici aussi on a le sentiment que le film ne se prend pas tant au sérieux que ça en définitif puisqu'il n'hésite pas à ironiser là dessus lors de différentes scènes totalement décalées qui s'avèrent vraiment drôles. Tout cela fait ainsi sens et participe à ce parti-pris consistant à casser tous nos codes visuels et auditifs pour par là même mieux mettre en lumière une vie d'errance à Paris qui semble néanmoins dépourvues d'incertitudes tant le personnage apparaît à tout moment guidé par la conviction intime et profonde qu'il a de devoir fuir son pays. À noter que le rythme global du film n'est pas lent à l'inverse par exemple d'un film comme "Toni Erdmann" (2016) mais qu'on peut cela dit adresser le même reproche qu'à celui-ci en supposant qu'un peu plus de musique serait sans doute parvenu à sublimer davantage l'ensemble. Le fait cependant que celle-ci débarque au moment où on l'attend le moins et parvient ainsi à illustrer un sentiment que la parole ne saurait évoquer ou à faire resurgir les souvenirs du passé s'avère cependant très pertinent.
Un film extrêmement audacieux donc, comme vous l'aurez compris, qui aurait vraiment pu également se révéler complètement catastrophique tant son réalisateur s'est employé à faire des choix de mise en scène aussi surprenants qu'innovants. Quoi de mieux pour conclure cette Berlinale 2019 que ce film qui en définitif nous prouve ainsi que l'audace cinématographique ne doit pas simplement être saluée mais également récompensée !

VHS1
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le 18 févr. 2019

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