Les premiers plans du nouveau documentaire signé par le chinois Wang Bing montrent le démantèlement d’un camp de réfugiés appartenant à la minorité ethnique des Ta’ Ang, premières victimes d’un conflit civil entre la Birmanie et la Chine – à peu près jamais relayé par les médias occidentaux – et on se prend à imaginer en les découvrant qu’un cinéaste français ou européen entreprenne la même démarche auprès des migrants entassés dans la jungle de Calais. Une démarche qui n’étonnera pas une fois encore les connaisseurs du cinéma de l’auteur de À l’ouest des rails. Habitué des formats longs – les 150 minutes du présent opus donnent presque l’impression d’un court métrage – le documentariste jamais présent devant la caméra, attestant juste par quelques bruits qu’il est bien en train de filmer, est aussi adepte des plans très longs qui créent immanquablement un lien de proximité et d’empathie progressive entre le spectateur et les sujets filmés, un lien d’autant plus fort, éprouvant et ravageur que les thèmes abordés par Wang Bing ne sont jamais légers ni anecdotiques. On voit donc ici essentiellement des femmes et des enfants – car les hommes sont restés auprès des vieillards malades incapables de voyager – fuyant un conflit et cherchant l’asile sur des terres plus hospitalières. Ce qui frappe, c’est aussi bien la suspension temporelle avec un sentiment d’attente prolongée qui peut être suivie d’une accélération des mouvements que l’extrême fatigue proche de l’épuisement qui saisit ces femmes si harassées qu’elles ne parviennent plus à s’endormir, préférant de longues conversations, presque des monologues, entrecoupées de confessions et de témoignages, écoutées par leurs enfants pareillement fatigués et pourtant rieurs et joueurs. En pleine lumière comme dans l’obscurité à peine éclairée par un feu ou une bougie, le réalisateur fait durer ses plans, malmenant ainsi le spectateur dans un procédé inconfortable qui ne se résume pas à un projet immersif, mais à un regard juste et précis, exactement posé à la bonne distance, pudique et digne lorsqu’il filme de dos une femme en pleurs ayant appris une mauvaise nouvelle. De la dignité, il y en a assurément de part et d’autre de la caméra, et d’abord de la part de ces réfugiés si lointains et qui pourtant résonnent douloureusement avec une actualité plus proche.


Ce n’est sans doute pas un total hasard que les deux documentaires les plus importants de cet automne nous parlent de migrants et des conditions qui leur sont faites. Plus abrupt et radical que son collègue italien Gianfranco Rosi, s’affranchissant d’une dimension fictionnelle, Wang Bing se rapproche ainsi du travail de Frederick Wiseman, mais ses sujets sont moins institutionnels et sociétaux et on y sent aussi une implication plus importante. 2016 aura été en tout cas l’année où on aura pu voir et comparer – pas hiérarchiser – les longs-métrages des trois documentaristes les plus marquants de l’époque. Mais une chose ne fait pas de doute : on ressort de ceux de Wang Bing essorés, bouleversés et emplis de questions qui demeureront encore longtemps sans réponses.

PatrickBraganti
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le 26 oct. 2016

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