Take Shelter est un thriller psychologique très sombre et "malaisant" qui nourrit nos appréhensions et nos peurs, tout en abordant des questions thématiques plus vastes comme l'amour et la famille. Dans Take Shelter, Jeff Nichols évoque la descente tragique de Curtis LaForche (Michael Shannon) dans la folie et la paranoïa. La folie dans le cinéma est un sujet qui m'a toujours fasciné et de tout temps. Alfred Hitchcock l’a prouvé à maintes reprises (Psychose, Fenêtre sur cours, Soupçons, Vertigo, La mort aux trousses ...) et Jeff Nichols suit son exemple avec Take Shelter, un film que le maître du suspense lui-même n'aurait certainement pas renié en son temps. Marqué par les performances de Michael Shannon et Jessica Chastain, la tension monte peu à peu jusqu'à se retrouver au bord du gouffre. C'est une véritable plongée dans un chaos total.


Michael Shannon est un favori des cinéphiles depuis son rôle dans Les Noces rebelles de Sam Mendes (rôle qui lui valu un Oscar), un statut qu'il confirmera plus tard avec le rôle du grand méchant dans La Forme de l'eau de Guillermo del Toro. Mais Michael Shannon c'est aussi et surtout l'acteur favori de Jeff Nichols (Shotgun Stories, Take Shelter, Mud, Midnight Special et Long Way Back Home). Ici dans Take Shelter, Michael Shannon est Curtis LaForche, un ouvrier de chantier installé dans l’Ohio avec sa femme Sam (Jessica Chastain) et leur jeune fille sourde Hannah (Tova Stewart). C'est un père et un mari aimant qui se tue à la tâche pour se permettre l'achat des implants cochléaires et l'opération pour guérir la surdité de sa fille, mais les récentes hallucinations de Curtis vont être à l'origine de nouveaux problèmes.


Dans ses rêves, Curtis a des prémonitions quasi apocalyptique, avec entre autres des tornades, d’étranges formations de vol d’oiseaux, une pluie semblable à de l’huile de moteur qui semble rendre tous ceux qui apparaissent dans ses rêves étrangement violents, y compris son chien qui s'attaque à lui. La paranoïa qui en résulte et les effets physiques occasionnels conduisent Curtis à consulter un médecin, à visiter sa mère en hôpital psychiatrique, mais aussi à agrandir l'abri anti-tornade dans son jardin si ses visions se réalisent.


La question est de savoir si Curtis est une sorte de prophète ou simplement mentalement perturbé et en souffrance psychiques. Jeff Nichols raconte cette histoire en grande partie à travers une série de personnages qui habitent les cauchemars de Curtis et à travers son entourage (son meilleur ami, sa femme, sa fille, son frère et sa mère). Le rythme est lent, mais quelques moments clés vont accélérer le récit, à savoir une scène fascinante dans une cafétaria où Curtis perd le contrôle de ses nerfs et s'en prend violemment à son collègue de travail Dewart (Shea Whigham) qui le croit dément. Le scénario ménage ses effets et nous tient en haleine jusqu'à la toute fin.


Au fur et à mesure que nous en savons plus sur Curtis, notamment sur sa relation avec sa femme Samantha et son meilleur ami/collègue Dewart, nous apprenons quelques détails clés sur ses antécédents médicaux qui éclaircissent la situation. Même avec ces éléments supplémentaires en main, Jeff Nichols ne nous donne jamais la solution aux problèmes de Curtis. C'est à vous de vous faire une idée sur le personnage.


Dans la peau de Curtis, un personnage qui peut paraitre introverti (froid et distant) et aux prises avec des troubles psychiques, Michael Shannon impressionne. C'est un rôle casse gueule pour lui, mais son jeu est très subtil, avec beaucoup de moments de pause. En l'observant on hésite entre la sympathie et le scepticisme. Le mérite revient également à Jeff Nichols pour avoir créé un protagoniste loin de la norme.


Jessica Chastain obtient le rôle de la femme alpha, celle qui a l'âme d'une meneuse dans le couple. Elle est à la fois bienveillante, ouverte et aimante, entièrement motivée par la logique et n’ayant pas peur de la confrontation. Beaucoup s’identifieront davantage à Samantha, ce qui ajoute une couche de complexité (mais aussi de scepticisme) au film, c’est le moins qu’on puisse dire.


Le film s’ouvre sur de grandes questions. Curtis est-il en quelque sorte "à côté de l'esprit" ? La catastrophe imminente est-elle liée à la surdité de leur fille ? La menace d'une crise économique informe-t-elle d’une manière ou d’une autre sur ces événements cataclysmiques imminents ? Que signifient tous ces tropes de films d’horreur, avec les gens qui sont transformé en zombies par la pluie "huile de moteur" dans les rêves de Curtis ? Le schéma se répète à plusieurs reprises et malheureusement ça en devient légèrement prévisible à partir du troisième rêve et le film s'essouffle un peu dans le deuxième acte. Pour un film d'un peu plus de plus de deux heures, il y a peut-être quinze minutes de trop. Mais heureusement (et sans vouloir en dire plus), la fin est parfaite et hautement satisfaisante (simple et ambiguë).


Take Shelter offre une étude de personnage fascinante, bien qu’il mette parfois votre patience à rude épreuve. Il montre qu'un homme qui lutte contre la folie, peut résonner avec tous nos soucis du quotidien. Nous vivons une époque incertaine et ceux qui continuent de croire aveuglément que tout ira bien, sont peut-être les plus fous d’entre nous.

Créée

le 13 juin 2023

Critique lue 227 fois

18 j'aime

6 commentaires

lessthantod

Écrit par

Critique lue 227 fois

18
6

D'autres avis sur Take Shelter

Take Shelter
takeshi29
9

D'ores et déjà un classique

Si vous n'êtes pas contre une bonne dose de cinéma anxiogène, ou si vous aimez Terrence Malick, ou si vous frissonnez encore en vous remémorant le dernier plan de "Melancholia" (1), ou si vous êtes...

le 18 mars 2012

86 j'aime

10

Take Shelter
guyness
7

Twist lent au bal orageux de la fin du monde

Bâtir un film sur son dénouement est éminemment casse-gueule. D'autant que d'entrée de jeu, seule deux options sont proposées: soit notre héros est fou, soit il est visionnaire. De ce nœud classique...

le 21 mai 2012

81 j'aime

10

Take Shelter
Miho
5

Protège-moi

Après son remarqué Shotgun Stories, Jeff Nichols fut consacré cette année lors de la Semaine de la Critique à Cannes avec Take Shelter, chronique sociale et familiale matinée d'ambiance paranoïaque...

Par

le 12 juin 2011

65 j'aime

7

Du même critique

Kaamelott - Premier Volet
lessthantod
7

À un moment, il monte à une tour ...

Tout d'abord, je précise que j'aime Kaamelott dans son intégralité et que par conséquent, j'adhère totalement à l'évolution de la série et à son changement de ton entre les quatre premiers livres,...

le 22 juil. 2021

38 j'aime

28

Le Cercle rouge
lessthantod
8

Et n'oubliez jamais ... tous coupables !

Le cercle rouge est le douzième et avant dernier film de JP Melville et c'est un film que beaucoup considèrent encore aujourd'hui comme son chef d'œuvre absolu. C'est aussi un film qui a marqué les...

le 15 août 2021

37 j'aime

19

Les Bonnes Étoiles
lessthantod
6

Les inadaptés

Les Bonnes étoiles est le dernier film de Hirokazu Koreeda, un drame social touchant qui repose beaucoup sur son ambiance très soignée et sur un casting vraiment très bon, en premier lieu Song...

le 12 déc. 2022

35 j'aime

2