Tar est pour moi un film aussi complexe à critiquer qu'il a été à digérer, et si j'ai autant de mal à mettre des mots dessus, c'est sûrement parce que je ne l'ai jamais vraiment assimilé. Ça parle d'Art, d'autorité, d'abus de pouvoir, de cancel culture, de réussite, de dissociation de l'artiste et son œuvre.
C'est un film dense, au propos ambigu, qui ne vous mâche pas le travail en lâchant une morale clairement définie où les méchants sont punis pour leurs méfaits contre la paix et l'harmonie. Au contraire, Tar aborde tous ces sujets avec délicatesse, sans trop mettre les pieds dans le plat ni prendre explicitement position, et si l'approche est stimulante, elle m'a aussi un peu laissé sur le bord de la route.
Et avant d'aller plus loin, je vais répéter ce que tout le monde a très justement rabaché : Cate Blanchet est phénoménale, habitée, magnifique. Je ne doutais pas qu'elle était l'une des meilleures actrices de sa génération, mais elle prouve encore ici qu'elle évolue à un tout autre niveau en s'immergeant corps et âme dans les personnages qu'elle incarne.
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L'ambiguïté du film ne s'exprime jamais autant que dans l'une des premières scènes où Lydia Tar est confrontée à un étudiant pangenre de couleur qui a décidé de cancel Bach parce qu'il était trop blanc et trop hétéro.
Durant les dix minutes de plan séquence absolument brillantes qui vont suivre, Tar s'efforce avec sincérité de retirer les œillères de son interlocuteur et de lui faire apprécier la beauté de l'œuvre, au-delà de préjugés nourris à la culture Twitter. Et il me semble intellectuellement impossible de ne pas lui donner raison.
Et c'est là toute l'élégance de l'exercice, car à maintes reprises durant le film, il est clairement établi que Tar est à la fois redoutablement affutée et intelligente, certes, mais aussi cynique, égocentrique, arrogante et manipulatrice. Cela ne l'empêche ni de s'exprimer avec passion et talent dans son Art, ni d'avoir des opinions valides.
Elle est souvent montrée trop froide et calculatrice pour évoquer de l'empathie et sa descente aux enfers apparait comme le résultat légitime de ses exactions. Mais l'instant d'après, on la montre fragile et touchante, et le film ne vous laissera jamais avoir une opinion tranchée sur le personnage.
Est-ce là le cœur du propos ? Que les hommes imparfaits ne devraient pas juger les hommes imparfaits. Il est aisé de tomber dans le piège de condamner ces figures publiques que l'on juge avec clémence ou mépris, sans connaitre plus que les grandes lignes de leur personnalité, du contexte dans lequel ils évoluent, ou des circonstances de ce qui leur est reproché.
Tar ne répondra jamais à ces questions, mais si vous vous les posez, il a déjà réussi.