TÁR
6.7
TÁR

Film de Todd Field (2022)

Cette campagne marketing menée tambour battant pour dérouler le tapis rouge de l'oscar de la meilleure actrice fait partie des choses émaillant sempiternellement le début d'année cinéma qui ont le don de me faire fuir. Depuis quand l'oscar est-il supposé sanctionné autre chose qu'une campagne marketing bien orchestrée (cf Gwynett Paltrow, Natalie Portman, Sandra Bullock, et j'en passe)? Bref, autant dire que j'ai vu débouler ce film comme une météorite faisant le bruit d'un pétard mouillé. Et ce malgré Cate Blanchett qui, je l'avoue, a le don de m'hypnotiser dans la plupart des films auxquels elle prend part.

Cependant, la coupe Volpi pour son interprétation (oui je me fie plus à Berlin, Venise ou Cannes plutôt qu'aux oscars pour m'orienter) et surtout la présence de Todd Field à la réalisation (3 eme film en 20 ans) m'ont fait payer le ticket.

La note d'intention du réalisateur est claire dès la première séquence, nous allons y voir Lydia Tar entre son personnage intime (plan de dos d'une femme ressemblant à Lydia dans une salle bondée) et son personnage public (de face, angoissée, dans les coulisses en attendant son entrée en scène).

Au fur et à mesure du métrage, Todd Field ne fera que brouiller les pistes de la partie intime. Les regards s'y font biaisés, les non-dits assourdissants, l'hypocrisie manifeste. La photographie y est plutôt gouvernée par les ombres (avec un jeu sur les couloirs dans la pénombre, des plans qui s'attardent sur les lumières qu'on allume). Le dispositif de la mise en scène entrave souvent le visage de Cate Blanchett (une étreinte avec son amante dont le corps la dissimule à la caméra), voire l'élude totalement par le découpage en filmant de préférence sur le contre-champ de la personne à qui elle parle (plan sur Noémie Merlant quand elle lui annonce qu'elle prendra quelqu'un d'autre pour le job d'assistante), ou bien en la cadrant de manière éloignée, pour filmer son corps en entier, souvent de côté. Blanchett fuit la caméra quand elle est plongée dans l'intimité pour mieux la vampiriser dans son personnage public.

Le contraste est marquant. La caméra ne la lâche pas sitôt qu'elle "est dans son rôle". Cette démarche se veut aussi aérienne que de la musique classique, avec des rythmes variés et des tonalités diverses.

Plutôt lentes avec de longues scènes de dialogue sur la nature de la musique et l'obsession qui guide le personnage, notamment la séquence d'entrevue qui introduit le film qui m'a personnellement fasciné sur la condition du chef d'orchestre et son dialogue permanent avec des auteurs morts depuis un siècle. Cette manière culottée de faire durer une scène qui pourrait paraitre ennuyeuse mais qui est totalement dynamité par l'incarnation de Cate Blanchett (j'ai oublié que c'était elle) et par la finesse de l'écriture.

Puis plus endiablées avec les scènes de répétition de la symphonie de Malher.

Puis dans un faux rythme lent, rendu bouillant par la tension qui se joue entre les personnages. La scène où elle donne un cours à la Julliard School à un élève visiblement imprégné par le "wokisme" est capté en plan-séquence, un plan séquence qui dure et où la matérialité des corps s'entrechoquent, où les sons de la musique résonnent, où les propos civilisés mais grincants s'échangent, ponctué par un vulgaire "Vous n'êtes qu'une salope!" qui apparait presque comme une fausse note de ce "mouvement". Quelque chose se joue ici. La tension prégnante de cette scène n'est pas insufflée par des mouvements de caméra acrobatiques servant de vecteur au réalisateur pour montrer ses muscles et faire "coucou, je sais faire un plan séquence!", mais bien par ce que la caméra capte et ce qui se passe entre les acteurs. Si on met de côté ceci qui justifierait sans doute à lui seul ce dispositif, on pourrait se demander pourquoi un plan séquence et pas un découpage plus élaboré? Et Todd Field nous suggère la réponse par la suite, avec cette séquence montée en épingle par des étudiants qui ont capté la scène avec leur portable, et qui la sortent sitôt que les vents contraires soufflent pour Lydia. On fait dire ce qu'on veut à une scène trop découpée, un plan séquence réduit cet artifice et capte davantage le réél sitôt qu'il est utilisé à bon escient.

Cette dualité entre intime et public est un des axes majeurs de ce métrage et il ne suffit pas d'une vision pour l'analyser de manière à rendre justice à ce film puissant (l'utilisation du son et la fascination qu'il exerce sur le personnage mériterait aussi une analyse). Mais il s'agit sans doute d'un film entêtant, on y repense. Et quelle joie de voir l'intelligence de l'actrice Cate Blanchett se déployer dans un film aussi intéressant. Car c'est en ça qu'elle est une actrice majeure. Sa prestation est juste (et non pas "remarquable", ou encore "époustouflante", voire "boulversante" et tous ces superlatifs bons qu'à vendre du papier ou bien à résumer de manière confuse ce qu'on a la paresse de rééllement décrire!), Blanchett s'efface devant la caméra et laisse le film respirer car le rôle (et la manière dont il est capté par Todd Field) se suffit à lui-même. Contrairement à d'autres acteurs qui n'ont pas l'air de supporter qu'un film ne tourne pas autour d'eux (coucou Joaquin Phoenix!), elle se met au service du film et de ce portrait de femme, talentueuse mais ambigue, et donc profondément humaine.

Et quelle fin burlesque, culottée, à double tranchant, dépourvue de toute forme de cynisme, comme si le film ne savait, ne voulait pas juger son personnage, laissant le soin au spectateur de disserter autant sur ce que le film montre d'elle que sur ce qu'il cache.

Quel dommage que les deux trois scène "performatives" viennent ajouter une légère fausse note à l'ensemble. Mais c'est tellement peu par rapport au plaisir de cinéma que j'ai retiré de ce film!

EctoBeTheBest
9
Écrit par

Créée

le 18 févr. 2023

Critique lue 13 fois

Gaspard Hubert

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