TÁR
6.7
TÁR

Film de Todd Field (2022)

Seulement 6% des chefs d’orchestre dans le monde sont des femmes. Voici ce que l’on apprend devant Divertimento, dernier né de Marie-Castille Mention-Schaar. Impossible de ne pas y songer lorsque nous apparaît Lydia Tár, cheffe d’un grand orchestre symphonique berlinois, présentement au sommet de son art et de sa carrière. Un parcours brillant mais non sans travers, dont on nous conte alors l’inexorable chute.


Il y a ici du Whiplash, du Black Swan, du Nightmare Alley, et même un peu du Diable s’habille en Prada ! Il y a quoi qu’il arrive une obsession pour Hollywood de questionner la face obscure du milieu artistique et de scander la perversion des hommes et femmes de pouvoir. Lydia Tár, personnage à priori fictif, est de ceux-là.


Quoiqu’un peu long à démarrer, le film est taillé comme une symphonie classique avec, au démarrage, de longues séquences piano piano où tout est parfaitement huilé et dans lesquelles rien ne dépasse. Puis d’accélérer crescendo avec des scènes de plus en plus courtes à mesure que se désagrège, morceau par morceau, l’existence de ce personnage bigger than life.


Tàr est un thriller aveugle qui ne dit pas son nom, un portrait sombre aux élans #MeToo, une œuvre politique aux mille inspirations.

Aussi étrange que ça puisse paraître, la musique est la grande absente de ce film. Laissant au silence tout le loisir d’en porter la tension. Paradoxalement, le rythme en tant qu’objet apparaît lui-même en récurrence. Qu’il s’agisse d’un métronome dans un placard, d’une série de néons dans un tunnel ou de foulées matinales dans un parc, le film cherche par tous les moyens à battre la mesure d’un cœur plus mécanique qu’autre chose. Celui d’une femme dénuée de sentiments. Bouffie d’orgueil, obsédée par la performance à tout rompre et par le contrôle, n’hésitant pas à bousiller la carrière de celles qui pourtant l’avaient prise en modèle.


Visage émacié, silhouette creusée, le teint blanchâtre, Cate Blanchett subjugue dans un rôle à Oscar taillé sur mesure pour elle. Son personnage déambule ainsi tel un fantôme dans des espaces vides, sans miroirs, dépourvus du moindre signe de vie. Ne partageant qu’à l’occasion le cadre avec un autre personnage. Et filmée dans ces cas-là, de préférence de loin ou de dos. Todd Field s’inscrit ici dans le sillage du cinéma de Sofia Coppola, elle-même obsédée par la solitude de ceux qui ont tout (Marie-Antoinette, Lost in Translation, Somewhere, The Bling Ring).


Sorti de ce principe et de quelques majestueux plans larges, la mise en scène n’a en soi rien de transcendant. Toute la tension réside surtout dans cette quiétude froide et sans âme, cette humeur placide qui innerve l’intrigue. Le film est comme drapé dans un silence et une froideur intempestive, fermement maintenu par la prestation glaçante de Cate Blanchett, à qui l’Oscar tend déjà les bras.


C’est surtout un de ces films à Oscars dont la performance principale peut rapidement reléguer au second plan le propos de son auteur. L’ambition, la persécution, le harcèlement moral, le racisme et l’homophobie sont autant de thèmes contemporains dont Tár est le réceptacle. Pour autant, il y a fort à parier que sa portée politique s’estompe très bientôt au profit de son actrice de tête. Rendez-vous le 12 mars prochain pour assister au salut final, et à ce que la cheffe Blanchett fera de sa baguette, euh…statuette !

Maître-Kangourou
6

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Créée

le 6 mars 2023

Modifiée

le 6 mars 2023

Critique lue 5 fois

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