Au-Delà des Apparences : une réflexion stimulante sur la décivilisation



  • Doucement.

  • Que s'est-il passé ?

  • La caravane... attaquée. Éléphants affolés... Tous tués, sauf moi.

  • La caravane du Bugandi ! Comment ? Où ?

  • Les léopards...

  • Il est mort.

  • Pauvre diable. C'est affreux, toute une caravane attaquée par des léopards.




Quoi que ce soit, il faut les chasser !



Tarzan et la Femme léopard marque le dixième opus de la série Tarzan, avec Johnny Weissmuller dans le rôle principal. Réalisé par Kurt Neumann et écrit par Carroll Young, ce film s'inspire des personnages créés par Edgar Rice Burroughs pour offrir une nouvelle aventure exotique au cœur d'une jungle fantastique. Bien que fidèle au divertissement classique du cinéma d'aventure, ce nouvel opus se distingue en proposant une histoire plus sombre et profonde, allant au-delà des apparences kitch pour captiver le spectateur. Au cœur de l'intrigue, les autorités de Zambèze sont convaincues que les léopards sont les responsables d'une série d'attaques mortelles sur la route de la jungle menant à Bugandi. Pourtant, Tarzan reste sceptique. Et il a raison. Les véritables coupables sont en réalité des membres d'une tribu qui vénère le Dieu-léopard, dirigés par la Grande Prêtresse Lea (Acquanetta) et le médecin indigène Ameer Lazar (Edgar Barrier). Leur colère contre la civilisation émerge de l'exploitation des ressources et de l'empiètement sur leur territoire. Cette intrigue intelligente est symbolisée par un discours percutant qui résonne avec force :
« Voici des jours que nous attaquons les caravanes de l'ennemi. Son avidité est telle qu'il continue d'envoyer des caravanes chargées de trésors. Ne vous y trompez pas. Au Zambèze, absolument tout est mis en œuvre pour mettre le Bugandi sous le joug d'une civilisation contraire à nos coutumes. Ils sont prêts à tout pour nous détruire. Il faut les en empêcher. N'ayons pas de répit, sinon notre territoire sera bientôt envahi. Pourquoi viennent-ils ici ? Pour exploiter les ressources de notre jungle et voler des trésors qui nous reviennent. Chassons-les ! À bas l'envahisseur ! »
Un discours qui résonne particulièrement aujourd'hui, mettant en opposition ceux qui prônent un libéralisme total en matière d'exploitation de nos terres, même au détriment de nos coutumes, et ceux qui, au contraire, cherchent à protéger notre civilisation en fermant totalement nos frontières. Entre ces extrêmes, se trouvent ceux qui préfèrent rester dans le déni des défis auxquels nous sommes confrontés. Cette conjecture historique, démontre la constance à travers l'histoire de l'humanité quant au basculement des civilisations. Le film explore de manière intelligente ce renversement de toutes les valeurs, ajoutant une touche de mystère et de danger à l'ensemble. En nous plongeant dans cette réflexion, il nous invite à questionner notre propre époque et notre rôle dans la préservation ou non de notre patrimoine culturel et de nos ressources naturelles.


La réalisation de Kurt Neumann nous transporte dans des décors exotiques, bien que certains soient créés en studio, avec des paysages qui oscillent entre satisfaction et insatisfaction. Des plans documentaires astucieusement intégrés, sublimés par la photographie de Karl Struss, enrichissent l'ensemble. La musique envoûtante de Paul Sawtell accompagne avec efficacité les scènes d'action et les moments d'intensité, contribuant à l'atmosphère du récit, tout particulièrement lors des célébrations du culte du Dieu-léopard. Les costumes et les maquillages des fanatiques de la secte participent également à maintenir une ambiance mystérieuse et intrigante, où l'exotisme se mêle à la fascination pour le mystique. Sur le plan technique, le long-métrage tire autant qu'il peut parti des ressources disponibles à l'époque pour créer des scènes d'action et des cascades efficaces, maintenant un rythme soutenu tout au long du récit. Le film propose également des séquences convaincantes autour de la célébration du culte du Dieu-léopard, avec des danses saisissantes, dans un cadre globalement satisfaisant. De plus, des moments plus légers s'entremêlent avec notre fameuse Cheeta qui joue de la flûte avec entrain, charmant même un cobra en caoutchouc et des vers de terre, jusqu'à se retrouver face à un python qui n'est pas loin de la dévorer.


Les confrontations captivantes entre Tarzan et les membres du culte du Dieu-léopard sont particulièrement saisissantes. L'histoire enchaîne de bonnes séquences de combat, avec Tarzan faisant face au redoutable lutteur Tongolo le Terrible (interprété par le lutteur professionnel "King Kong" Kashey). Une attaque palpitante orchestrée par la Grande Prêtresse mettant en scène de véritables léopards ajoute à l'intensité. L'assaut surprenant des hommes-léopard, qui provoque un véritable carnage dans leur tentative de capturer quatre charmantes professeurs, débouche sur une poursuite passionnante. Dans cette scène, Tarzan déploie des pièges mortels pour échapper à ses poursuivants.



Rien n'est plus inoffensif qu'un ennemi ridiculisé.



Le point culminant se révèle lors de la confrontation finale via un dénouement inattendu. Au cœur de cette scène cruciale, la civilisation de Bugandi est confrontée à un bouleversement majeur lorsque sa propre progéniture se retourne contre ses aînés, scellant ainsi la fin d'un règne. Cette inversion inattendue met en lumière le rôle essentiel des enfants de la nouvelle génération, qui, en éliminant leurs propres aînés, se condamnent également à disparaître. Une transformation radicale qui ouvre alors la voie à l'arrivée de nouveaux venus provenant d'autres horizons. Ce retournement de situation soulève des questions profondes sur les liens entre les générations, le pouvoir, et les dynamiques du changement social. On explore également des séquences beaucoup plus dérangeantes. C'est le cas notamment avec Kimba (Tommy Cook), un enfant appartenant au culte, que Jane prend sous son aile. Dans une tournure radicale et intelligente, le jeune garçon tente de commettre un acte sauvage envers elle. Cette conduite extrême illustre la tendance vers la décivilisation, car c'est lorsque les enfants cherchent à éliminer leurs parents pour renverser l'ordre établi que le monde change de cap.


Johnny Weissmuller reprend une fois de plus le rôle emblématique de Tarzan, mais dans une version légèrement empâtée de l'homme-singe qui a subi les effets du temps depuis ses débuts dans la série. Cependant, je considère ce vieillissement avec bienveillance, d'autant plus que sa présence à l'écran reste imposante et solide. Je ne peux m'empêcher de regretter l'absence de Maureen O'Sullivan dans le rôle de Jane. Brenda Joyce, qui la remplace, livre une interprétation plutôt fade qui manque de profondeur. Son personnage se contente de jouer les faire-valoir souriants, sans réellement apporter d'éléments mémorables à l'histoire. Je suis déçu de ne pas retrouver la dynamique si caractéristique entre Tarzan et Jane, qui a souvent été un élément clé des films précédents. Johnny Sheffield, incarnant le rôle de Boy, révèle les marques du temps qui s'écoule, passant de l'enfant intrépide à l'adolescent. Cette transformation témoigne de l'évolution du personnage tout au long de la série. On peut observer le cheminement de Sheffield, qui s'apprête bientôt à se lancer dans sa propre série dans la jungle sous le nom de Bomba, le garçon de la jungle.


Tarzan et la Femme léopard met en scène certains des antagonistes les plus mémorables de la franchise, à commencer par Acquanetta dans le rôle de Lea, la Grande Prêtresse. Son incarnation est convaincante, apportant une présence imposante et menaçante à l'écran, tenant sa massue léopard avec une maîtrise inébranlable. Il est intéressant de constater l'ironie de la situation : cette indigène représente un monde ancien destiné à disparaître avec l'avancée de la civilisation. Dans ce monde, c'est une femme qui détient le pouvoir, et pourtant, elle se trouve submergée par le camp du "bien" symbolisé par Tarzan, un homme blanc issu de deux mondes, qui incarne le renouveau. Cette situation soulève une réflexion complexe sur la décivilisation. Est-ce une notion positive ou négative ? Les ironies présentes dans le film invitent à une introspection. D'un côté, on observe la force et le leadership d'une femme dans un monde en voie de disparition, tandis que de l'autre, le personnage de Tarzan incarne un renouveau qui peut être interprété comme le progrès. La décivilisation se présente ainsi comme un concept ambivalent, ouvrant la voie à de multiples interprétations et questionnements sur l'évolution de la société et les bouleversements qui l'accompagnent. Le Jeune Frère de Lea, Kimba, interprété par Tommy Cook, est convaincant dans son rôle de cherchant désespérément à obtenir le statut de guerrier en présentant un cœur humain à sa tribu. Il parvient à se rapprocher de Tarzan en ciblant Jane comme sa proie, créant une proximité troublante. Quant au Docteur Ameer Lazar, incarné par Edgar Barrier, il livre une performance géniale dans ce rôle où l'acteur se fond complètement dans son personnage. En tant qu'homme appartenant à deux mondes, il observe avec méfiance l'invasion civilisationnelle de sa patrie, le Bugandi, et se dévoue corps et âme aux côtés de la Grande Prêtresse pour former un couple charismatique. Ces deux personnages ajoutent une dynamique captivante à l'histoire, avec Kimba cherchant à se frayer un chemin vers le statut de guerrier et le Docteur Lazar incarnant un homme tiraillé entre deux mondes et déterminé à préserver sa culture et sa terre. Leurs performances contribuent à l'intensité de l'intrigue et à la complexité des enjeux abordés.



CONCLUSION :



Tarzan et la Femme léopard, réalisé par Kurt Neumann, constitue un ajout plus que décent à la série de films Tarzan mettant en vedette Johnny Weissmuller. Bien qu'il ne parvienne pas à surpasser certains des opus précédents, il se distingue néanmoins comme un épisode solide, surtout dans son contenu. Cet épisode offre une réflexion profonde sur notre perception de la décivilisation et son impact sur les dynamiques de pouvoir et de renouveau. Il met en lumière les contradictions intrinsèques à cette notion et encourage le spectateur à se poser des questions plus profondes sur la nature de la civilisation et ses évolutions.


Un film qui transcende son apparence et se révèle être une œuvre intelligente offrant une réflexion stimulante pour fournir une expérience cinématographique enrichissante.




  • Tu vois quelque chose ?

  • Non, rien.

  • Ce pourrait être quoi ?

  • Chose qui imite léopard.

  • Quelque chose qui imite le léopard ? Je n'ai jamais entendu ça. Le soleil lui a tapé sur la tête.


B_Jérémy
7
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le 17 juin 2023

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