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Une œuvre première n’est jamais anodine. Son spectacle non plus. On cherche forcément à déceler dans les images les traces d’une personnalité singulière, d’une cohérence artistique, d’une promesse cinématographique que l’on appelle de nos vœux. On semble la trouver avec Tesnota, premier film d’un jeune cinéaste formé à l’école de Sokourov : Kantemir Balagov. Il faut dire que les premières minutes de son film ont le mérite d’être intrigantes, avec l’apparition inopinée de ce texte écrit à la première personne, avec ce “Je” qui vient soudainement trouer la fiction. Un préambule astucieux qui nous annonce de manière presque métonymique l’intérêt du récit à venir : la découverte d’une vérité logée à l’intérieur d’un ensemble factice, l’observation d’une identité qui s’émancipe du milieu auquel elle appartient.


Comme nous l’indique judicieusement le sous-titre français (“La vie à l’étroit”), Tesnota relate le drame de ces existences bridées, étouffées par des chapes de plomb qui se superposent sans cesse. C'est au franchissement de celles-ci que le récit s’emploie dès les premières minutes, nous faisant passer successivement par des strates géographiques (le Caucase russe qui contient la République de Kabardino-Balkarie), sociaux ethniques (le peuple Kabarde, majoritairement musulman, qui possède en son sein une minorité juive) et enfin familiales. On finit alors par découvrir la “Poupée Russe” qui nous intéresse vraiment, Ila qui, pour exister, pour affirmer son “je” propre, va devoir échapper à cette ramification carcérale particulièrement écrasante.


Tout l’art de Balagov sera de filmer ces existences étriquées de manière finement allusive, sans tomber dans le piège du pathos ou du démonstratif. On pourrait, en ce sens, déplorer l’usage du format 4/3 pour exprimer l’étau dans lequel se trouve la communauté. Mais, contrairement à un Xavier Dolan par exemple, la place qu’il octroie à la caméra lui permet de charger ses images en densité et en empathie : on remarque moins le cadre écrasant que cette humanité qui déborde, grouille, souffre, et tente de se faire une place à l’écran. Certaines scènes, d’ailleurs, sont d’une justesse remarquable, comme celle où le poids des contraintes s’abat sur Ilana : sa mère, porteuse de mauvaises nouvelles, demeure dans le flou et en arrière-plan, tandis que la jeune femme s’effondre à l’écran, le visage s’inclinant derrière les boucles brunes et la voix ployant sous le bruit du sèche-cheveux...


Et pour donner tout son sens au combat qui est le sien pour repousser les cloisons de son existence, Balagov n’hésite pas à exploiter les différentes possibilités du médium cinématographique : image, son et lumière chanteront à l’unisson l’air connu de l’émancipation contrariée. Le travail sur les couleurs, par exemple, permettra l’expression de son intériorité, soulignant la violence du sentiment d’oppression (le rouge qui surnage lors d’une relation sexuelle forcée) ou l’impériosité du désir de vie (les teintes de bleu qui renvoie aux besoins d’oxygène). Quant au jeu sur les sonorités, il affinera de manière subtile cette mise en relief (la musique lancinante qui accompagne l’errance existentielle, le silence qui se fait entendre lorsque le corps danse son envie de vivre).


Intense et singulière, Tesnota est une œuvre première qui impressionne sans pouvoir convaincre totalement. La faute à ces quelques “erreurs de jeunesse” qui mettent à mal nos bonnes dispositions, comme cette propension à la dispersion (dans les effets voulus, dans les idées de mise en scène...) ou ce goût étrange pour les coups d’éclat démonstratifs (les images de véritables meurtres qui viennent rompre le récit fictionnel). Mais aussi perfectible soit-il, ce cinéma mérite qu’on s’y attarde tant le regard de Balagov semble pertinent, pour évoquer les paradoxes de l’existence (l’attachement familial que l’on recherche tout en voulant s’émanciper) ou faire l’éloge discret de la Femme (le délicat portrait d’Ilana, la mise en valeur de Darya Zhovner).



Créée

le 27 août 2023

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Procol Harum

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