Un retour au muet en cette période de vulgarisation de la 3D était un pari plutôt risqué, même de la part d'un réalisateur en décalage comme Michel Hazanavicius. Là où la plupart des films tentent de tirer profit d'un filon dont on ne peut voir le réel intérêt dans la quasi-totalité des cas, Michel Hazanavicius décide, avec une équipe ressemblant étrangement à celle du premier opus des aventures de notre espion national, de revenir à la base même du cinéma, ce qui a fait son succès mais aussi son charme et son pouvoir. Le pouvoir d'attirer la plus grande majorité de la population à la culture, en lui proposant d'apprendre, de réfléchir mais également de rêver pendant une séance au cinéma. Voilà ce que propose The Artist, et voilà ce qu'il en découle.

Tout d'abord, un scénario classique. Et c'est ce qu'il lui est reproché. Pour ma part, je trouve au contraire, qu'il trouve sa force dans cette histoire tragicomique, genre très apprécié des films muets. Car oui, on peut rire et pleurer en l'espace d'1h30, si ce que l'on raconte est assez bon et si les personnages sont assez intéressants pour qu'on prenne goût à tout ce qui peut leur arriver. Ici, Jean Dujardin et Bérénice Béjo sont époustouflants dans leurs rôles respectifs et leur duo est tout à fait séduisant. Quant à l'histoire, elle évoque parfaitement ce qu'a eu comme conséquence le passage du muet au parlant.

Car le désarroi de Jean Dujardin tout au long du film et son refus de la réalité est à la fois touchant et énervant. On a l'impression de voir un proche refuser d'avancer face au deuil d'un proche ou d'une carrière passée, on voudrait pouvoir le pousser, le faire réagir. Et c'est là que la grâce de Bérénice Béjo intervient. Divine tout du long, elle nous livre une performance extraordinaire et nous charme pour devenir notre relais avec son partenaire à l'écran.

L'environnement américain est également parfaitement adapté au récit d'Hazanavicius car il intervient dans un contexte où le cinéma commence à être exporté et où les majors sont essentiellement voire uniquement américaines. L'ambiance est parfaitement retranscrite, les studios sont là, le producteur avare, l'animal intelligent sans qui le maître ne ferait pas grand-chose (Le chien, prodige de ce film), l'histoire d'amour rendue impossible par la différence de rangs des deux protagonistes : on est en train d'assister à une projection dans une machine à remonter le temps, où les films sont en 4 : 3 et où on fait vibrer grâce à des images, rien d'autre. Hitchcock disait que la parole était un frein au cinéma dans le sens où seule l'image compte. Elle doit faire ressentir les choses, amener le spectateur à être protagoniste et Michel Hazanavicius réussit ce tour de force, ce retour en arrière.

On ne peut pas parler de nostalgie car même nos parents n'avaient pas accès à ce genre déjà oublié à leur époque. Je pense plutôt qu'il s'agit d'une (re)découverte d'un genre à part entière du cinéma, pour lequel je n'avais pas d'affection particulière plus jeune mais qui se montre, à mes yeux de plus en plus intéressant avec le temps.

Finalement, le film est globalement bien réussi. On passe un très bon moment de cinéma et la palme d'interprétation aurait dû revenir, à mon sens, au chien, tant son rôle prend une importance dans le film. Depuis, la Classe Américaine, le réalisateur a fait son petit bout de chemin, avec toujours autant de réussite. Cinéphile qu'il est, il montre ses envies, ses passions à l'écran et surtout, nous procure un plaisir immense dans un film où l'humour qu'on lui connait sait ressortir sans entacher une histoire d'amour comme on ne peut plus en voir à l'écran de nos jours.
Carlit0
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le 7 nov. 2011

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