Elle s’appelle Nie Yinniang et c’est une guerrière, c’est une tueuse en habits noirs et longs cheveux de jais, au vent. Dans la Chine de jadis sous le règne de la puissante dynastie Tang, elle apparaît et disparaît, puis revient plus tard, insaisissable, redoutable, éliminant ceux qu’on lui demande d’éliminer sans dire mots, ou si peu. Elle est comme une apparition, un spectre, un succube peut-être, toujours là dans l’ombre de ce qui est, parmi les arbres, sous les charpentes des toits ou derrière les voilages des palais, en embuscade et spectatrice aussi des complots politiques (pouvoir et dissidence) et des passions infuses (épouse et concubines) qui se trament sans un bruit, ou si peu.


Et le film de Hou Hsiao-hsien serait à cette image finalement, languissant et silencieux, jamais là où on pourrait l’attendre, où on pourrait le croire, se dérobant sans cesse, mais incontestable dans ses envoûtements. Et si un certain maniérisme sourde parfois, trop sûr de lui dans sa volonté de raffinement exhaustif, ce raffinement terrassant qu’on ne manquera de vanter, évidemment, The assassin a l’effet d’une estampe délicate que l’on contemplerait à moitié avachi, entre extase et torpeur, de celle des rêveries éveillées qui vous hantent ensuite, inexplicablement. La majesté des cadres, mouvants, les couleurs irisées, les drapés, les étoffes, les bougies, les textures, les sons, les espaces, tout prédispose à une captation sensorielle des éléments, des choses et des sentiments ; que tout frémisse, et l’on s’y abandonne sans un effort.


Si l’intrigue se plaît, sciemment (par choix culturels, par refus du compromis), à se perdre en ellipses, en sinuosités, en éclats mémoriels, nous égarant aussi quelquefois au détour d’un bain que l’on prépare, d’un voile qui ondule ou d’un paysage englouti par la brume, comme se sacrifiant à l’art de l’épure, de l’évocation, elle sait en revanche révéler les errements d’une femme amoureuse contrainte d’exécuter l’homme aimé autrefois, devenu seigneur insoumis. Le wu xia pian, genre réglementé de sabres et d’arts martiaux, se retrouve là débarrassé de ses emprunts et de ses excès (les rares combats y sont ramenés à une simple profondeur de champ, limités à quelques minutes, voire quelques secondes), et l’intérêt de Hou Hsiao-hsien n’est pas dans sa réappropriation littérale, mais de saisir, à travers ses mouvements et ses inspirations, l’intimité tragique d’amants déchirés par le poids des rituels et la beauté des larmes.


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mymp
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le 23 mars 2016

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