L’homme chauve-souris a toujours répondu présent sur le grand écran, galvanisant davantage son élan dans les comics et autres adaptations animées. Leslie H. Martinson, Tim Burton, Joel Schumacher et récemment, Christopher Nolan puis Zack Snyder, ont étoffé la caractérisation d’un homme mutilé, derrière son masque et derrière ses actions contre la criminalité. L’univers de l’antihéros résonne comme de la justice élémentaire, mais souligne avant tout le microcosme compressé de tous les maux d’une nation. Cela a toujours été le filigrane et le fil rouge d’un orphelin, prêt à charger la pègre, la corruption et la violence, tout en épousant la part ténébreuse qui l’anime. Les créateurs, Bob Kane et Bill Finger, ont longtemps figé l’intégrité de ce personnage, en complément de ses diverses némésis qu’il rencontre au cours de sa vie, telle une longue nuit de peine et de terreur. Matt Reeves reprend ainsi le flambeau, en dehors des sentiers battus du DCEU, ou même du MCU, afin de redonner un souffle à celui qui porte plus qu’une cape ou des gadgets hors de prix, c’est bien sûr toute la rage d’une population défaillante et délaissée par un système qui ne peut plus contenir la haine qui déborde à vue d’œil.


Depuis le « Joker » de Todd Phillips, la Warner se lance dans des aventures solos et indépendantes, projets qui ont au moins l’audace d’explorer la psyché des protagonistes, contrairement à une « Justice League » fade, même sous director’s cut. James Gunn a suivi le mouvement en apportant du rafraîchissement, à l’heure où les prestations super-héroïques se ressemblent tous et nous laissent indifférents. Ce que Reeves entend par cette énième adaptation du personnage sacré de Gotham tient dans les effets de style. C’est la première chose qui frappe, avant même d’envoyer des sbires au tapis. L’esthétique est soignée avec une finesse remarquable. Rappelons que le cinéaste a déjà pu prouver sa rigueur dans « Cloverfield » et sa relecture de « La Planète des Singes ». Ici, il déforme l’apparence de Batman, jusqu’à le confondre avec les ombres de Gotham. Il fait partie des boyaux de cette ville, où le double visage avec le milliardaire Wayne devrait rompre cette dynamique. Pourtant, Robert Pattinson reste dans ce même ton tragique, cornélien et presque sans concession.


Cela ne veut pas dire qu’il manque de nuances, mais sa participation comme détective de luxe, afin de résoudre des énigmes dont on repousse sans cesse l’échéance du climax, semble être l’approche idéale. Ce qu’il inspire et ce qu’il génère, voilà ce qui intéresse véritablement. Ce bat-signal dans le ciel incarne un pacte avec le diable, si l’on ose soutenir le regard. Il s’agit d’un film noir assumé, avec ses codes, mais quand bien même on cherche à s’en référer, le bât blesse. La femme fatale répond au nom d’une Selina Kyle (Zoë Kravitz) trop passive, car elle fait partie de ces personnages spectateurs d’un récit qui maintient son McGuffin immergé, à savoir le Riddler (Paul Dano). Le Pingouin de Colin Farrell, transpire de réalisme, mais outre sa métamorphose réussie, il viendra également s’ajouter aux figures emblématiques d’une franchise, qui doit nécessairement laisser traîner ses marqueurs pour qu’on les dissocie d’autres œuvres. De même, le commissaire Gordon (Jeffrey Wright) rentre dans le rang et reste fidèle à des valeurs insondables. Alfred (Andy Serkis), quant à lui, sera encore plus anecdotique que ses précédentes apparitions. Il n’est donc pas étonnant de penser Fincher et Villeneuve après une narration aussi calquer sur ses succès, où les héros ne font que progresser dans un tourbillon de meurtres dont ils perdent le contrôle, à la fois sur la situation et leurs émotions.


C’est ce qui arrive au justicier masqué et marqué au fer rouge par le passé, ainsi que l’héritage d’une famille, qu’il n’a pas assez connu. De ce point de vue-là, une alarme culturelle et politique s’affole, jusqu’à rendre chaque pas du héros aussi lourd que ses responsabilités. De plus, nous entrerons un peu plus de profondeur dans son mal-être, ce qui a tout pour séduire. Mais à l’image des scènes d’action un peu trop horizontales, on parvient rarement à s’envoler comme « The Batman » le souhaiterait. Le cadrage en vue subjective ou assez proche de son élan nous invite pourtant à ces instants épiques, qui ne fonctionnent pas toujours. L’explosion harmonique de Michael Giacchino aurait pu tout emporter tout sur son passage, si l’on n’étirait pas sans cesse l’ambiance et la suricônisation. L’image ne peut sublimer le récit de cette manière et Reeves s’égare dans cette contrainte stylistique, qui se répète et sans se réinventer. On perd ainsi en fluidité et le climax empile, malgré lui, trop de retenues pour sortir satisfait d’une séance à couper le souffle. Mais à choisir entre le fast-food hollywoodien et l’essai d’auteur, le choix est vite fait et on y reviendra volontiers.

Cinememories
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le 3 mars 2022

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