Une fresque ambitieuse


The Brutalist est un film qui a attiré la curiosité générale de la critique cinéphile, de par le côté rare et ambitieux du projet. En effet, une fresque de 3h35 avec entracte, qui couvre plusieurs décennies est un format peu commun au cinéma de nos jours. Cette fresque est signée Brady Corbet, réalisateur encore peu connu. Ce film propose une plongée dans l'histoire de Laszlo Toth, architecte juif hongrois qui revient des camps de concentration, qui émigre vers les Etats-Unis afin de vivre le rêve américain. Si le projet séduit par l'audace narrative et les thèmes (les contradictions du rêve américain), il présente quelques faiblesses qui empêchent le long métrage d'atteindre le rang de chef d'oeuvre qu'on lui promettait.


Le film s'ouvre sur un plan séquence remarquable, ponctué d'une voix off qui évoque les horreurs de la guerre. Toute cette fresque mettra en avant le traumatisme fondateur du personnage. Cette séquence d'introduction donne le ton : une narration qui sera appuyé par une voix off, des bruitages et de la musique qui vont volontairement s'entremêler. Ce parti-pris sonore est au coeur du film pour développer une atmosphère chargée et pesante et présenter la mémoire troublée des personnage. Les ellipses temporelles seront très bien gérées, le récit sort d'une linéarité classique pour nous proposer une véritable expérience émotionnelle.


Le thème central du film est la gestion du trauma et la tentative de se reconstruire. Le personnage principal se confronte à deux continents, deux cultures et deux histoires radicalement différentes, presque incompatibles. Là où l'Europe porte le poids des guerres et des blessures, l'Amérique incarne un capitalisme débridé comme le visage d'une nouvelle forme d'oppression non moins violente. The Brutalist interroge la mécanique de la mémoire collective et individuelle et la manière dont le passé influe sur le présent.


Par certains aspects, le film fera penser à la tonalité de There Will Be Blood qui portait également les thèmes de la construction et déconstruction. The Brutalist pose la question suivante : le capitalisme est-il la nouvelle forme d'oppression ? Ce système est-il en train de broyer les individus ? Est-il en train de faire de l'art un simple objet de vente ? A travers le portrait de Lazlo, le film montre comment la création est soumise à des logiques économiques. Le rêve américain apparaît comme une promesse mais se révèle finalement n'être qu'une illusion qui cache un pays corrompu, dévoré par ses contradictions.


Laszlo Toth est le reflet d'une Amérique en crise d'identité. L'oeuvre dépeint un pays sans racines, à mille lieues de la vieille Europe d'om vient ce héros immigré. Cette opposition est une des richesses du film. Le pays américain est décrit comme un conflit constant entre la puissance économique et la violence sociale (Laszlo en fait les frais ..). Le portrait est sombre, pessimiste mais lucide. On ressent que Corbet cherche à déconstruire le mythe fondateur des Etats-Unis, révéler l'envers du décor, ses failles.


Malgré ses indéniables qualités, The Brutalist n’est pas sans défauts. Certains symboles, comme la statue de la Liberté retournée, sont lourds, presque caricaturaux, et donnent au film un côté didactique qui vient parfois plomber son rythme. Le désir d’expliquer, de pointer clairement les enjeux, se fait parfois trop appuyé, au point que l’on perd la subtilité. Le dernier acte, notamment l’épilogue, souffre de cet excès d’explications, comme une impression de leçon trop martelée, au détriment de l’émotion brute et du mystère.


Cette tonalité lourde, grise, presque bétonnée, est une marque de fabrique du film. Il décrit une Amérique de l'ombre, une Amérique dure, loin de la Californie et d'Hollywood. C'est un élément essentiel de cette fresque historique et sociale. The Brutalist n'est pas un film facile d'accès, il est exigeant. Il séduit grâce à la qualité de sa mise en scène et les idées véhiculées.


L'un des aspects les plus forts du film est la représentation de l'artiste par le personnage de Laszlo qui est tiraillé entre son désir de création et la réalité économique. The Brutalist souligne combien l'art est souvent un produit soumis aux lois du marché. On s'interroge alors sur la vocation de l'artiste qui se retrouve vulnérable face au capitalisme.


The Brutalist n’est pas le chef-d’œuvre que l'on veut nous vendre, mais c’est une œuvre qui mérite d’être regardée, analysée, discutée. Son ambition, sa narration et ses sujets en font une oeuvre à part dans le paysage cinématographique d'aujourd'hui. Il interpelle sur la notion même de rêve, de mémoire et de reconstruction, tout en offrant un regard critique et complexe sur l’histoire américaine et ses contradictions.


The Brutalist est un film dense et ambitieux, parfois un peu trop chargé dans sa volonté d’expliquer et de symboliser, mais porteur d’une réflexion puissante sur le rêve américain, la mémoire traumatique et la place de l’artiste dans une société dominée par l’économie. Ce portrait peu flatteur des États-Unis et cette fresque familiale sur plusieurs décennies ouvrent une fenêtre passionnante sur un pays en tension permanente, tiraillé entre ses illusions et ses réalités. Il ne faut pas chercher dans The Brutalist une œuvre légère ou aisément accessible, mais plutôt un film qui s’inscrit dans une démarche exigeante, à la fois esthétique et politique. Une œuvre qui, malgré ses défauts, installe Brady Corbet comme un réalisateur à suivre.

Créée

le 13 août 2025

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