Magnifique comic-book cathartique où le chagrin de son auteur James O'Barr transpirait à chaque cases, The Crow aura été enfanté dans la douleur, ce qui sera malheureusement le cas également pour son adaptation cinématographique, restée tristement célèbre pour le décès prématuré de sa star Brandon Lee.
Une tragédie de plus pour un James O'Barr déjà traumatisé par la disparition de sa petite amie et qui ne voulait franchement pas d'un film, peu enclin à voir Hollywood déformer son diamant noir. C'était sans compter la vision du cinéaste Alex Proyas et du comédien Brandon Lee, portant le projet sur leurs épaules aux côtés du producteur Edward Pressman, avant que le destin ne rattrape l'entreprise.
Bouleversée et complètement paumée, l'équipe se verra cependant attribué une rallonge budgétaire afin de finir le film avec les moyens du bord, Brandon Lee n'ayant pu tourner toutes ses séquences. Doublures, bidouillages numériques et autres tours de passe-passe permettront d'achever un long-métrage maudit mais dorénavant attendu par un public qui n'en avait absolument rien à foutre avant que la mort du comédien ne vienne changer la donne.
Instantanément culte à sa sortie, The Crow fait partie de ses oeuvres inachevées, mutilées, dont on ne saura jamais vraiment à quoi elles devaient ressembler mais qui, paradoxalement, trouvent leur force dans les coups du sort qui ont parsemé leur production. Il émane ainsi du premier long-métrage d'Alex Proyas une puissance émotionnelle rare, une beauté funèbre à vous serrer le coeur, compensant largement les imperfections d'un premier long-métrage forcément bancal et peinant à camoufler les trous béant du scénario.
Nourri de diverses influences allant du comic-book underground au cinéma de John Woo en passant par The Cure et Edgar Allan Poe, The Crow aura marqué sa décennie, notamment dans son esthétique hissant le gothique au rang d'art suprême, achevant ainsi le travail déjà bien entamé d'un Tim Burton l'ayant remis au goût du jour grâce à ses chefs-d'oeuvres que sont Batman Returns et Edward Scissorhands.
Indéniable réussite formelle grâce à la mise en scène inspirée et virevoltante d'Alex Proyas, ainsi qu'à sa bande son et à sa sublime photographie, compensant largement les facilités de son intrigue, The Crow doit bien entendu énormément de sa force à son casting dominé par la présence à la fois féline, mystérieuse, troublante et désespérément romantique d'un Brandon Lee parti trop tôt. Sans mauvais jeu de mot, l'aura du comédien hante la totalité d'un film baroque suintant la mort par tous les pores mais recelant en lui une poignée d'instants poétiques à en chialer.
Sans la tragédie qui l'aura marqué, The Crow serait-il aussi fort, aussi beau et mélancolique qu'il est actuellement ? On ne le saura jamais et de toute façon, cela n'a plus d'importance. Reste aujourd'hui une oeuvre inaboutie et meurtrie dans sa chair, mais qui continue de me broyer les entrailles à chaque vision depuis sa découverte il y a plus de vingt ans.