Avec The Current War, Alfonso Gomez-Rejon (réalisateur remarqué pour Me and Earl and the Dying Girl) s’attaque à un pan méconnu mais fondamental de l’histoire industrielle : la rivalité féroce entre Thomas Edison, George Westinghouse et Nikola Tesla autour de l’électrification de l’Amérique à la fin du XIXe siècle. Longtemps repoussé à cause de la chute d’Harvey Weinstein (initialement producteur), le film arrive en 2020 avec une version « director’s cut » qui promettait davantage de cohérence et de souffle historique. Mais si l’affiche est brillante et l’ambition noble, l’exécution peine à faire jaillir l’étincelle.


Génie incandescent ou court-circuit narratif ?

Le récit s’articule autour de la fameuse “guerre des courants” : Edison et sa défense du courant continu face à Westinghouse et le courant alternatif, sur fond de jalousie industrielle, rivalités d’ego, et manœuvres politiques. L’idée est passionnante, mais la narration reste linéaire, parfois confuse, alourdie par un didactisme académique. La montée en tension entre les deux hommes manque de souffle dramatique. Les conflits sont posés mais rarement vécus de l’intérieur. Quant à Tesla, pourtant figure centrale de l’innovation, il reste en périphérie, presque sacrifié à l’autel du duel Edison/Westinghouse.


Ampoules à filament inégal

Benedict Cumberbatch campe un Edison arrogant et rigide, à la limite de l’antipathie. Il parvient toutefois à restituer la complexité d’un homme autant visionnaire que férocement intéressé. Michael Shannon, en Westinghouse, impose une droiture presque stoïque, plus humain mais aussi moins mémorable. Nicholas Hoult en Tesla, bien que magnétique, souffre d’un développement minimal. Les seconds rôles (Katherine Waterston, Tom Holland) peinent à exister, victimes d’un script qui oublie souvent l’humain au profit de l’Histoire.


Une mise en scène électrisante mais désincarnée

Visuellement, The Current War est parfois superbe. La photographie signée Chung Chung-hoon (fidèle collaborateur de Park Chan-wook) donne lieu à des tableaux d’époque stylisés, presque picturaux. Gomez-Rejon s’amuse avec des contre-plongées audacieuses, des effets de lumière, et des transitions inventives. Mais ce style appuyé, souvent virtuose, finit par parasiter l’immersion : au lieu de servir le propos, il détourne l’attention. On sent une volonté de dynamiser un sujet “historique” avec une grammaire visuelle moderne, mais l’ensemble sonne parfois creux.


Vibrations classiques pour guerre technologique

La musique de Volker Bertelmann et Dustin O'Halloran (déjà à l’œuvre sur Lion) épouse le ton du film avec des nappes de piano et de cordes qui soulignent la tension et la grandeur du moment historique. Elle reste néanmoins discrète, jamais mémorable, là où un sujet aussi dramatique méritait une partition plus marquante, plus habitée.


Éclairs de thème sans tonnerre de réflexion

La lutte entre idéal et capitalisme, l’obsession du progrès, la construction des légendes américaines – autant de thèmes qui affleurent sans jamais vraiment percuter. Le film évoque les dérives de la célébrité scientifique, la manipulation médiatique, mais reste souvent trop pudique dans son propos. En tentant de tout couvrir, The Current War ne tranche jamais sur ce qu’il veut réellement raconter.


Verdict : un courant alternatif à la neutralité fatigante

Note finale : 5/10

The Current War avait tout pour électriser : un casting de prestige, un sujet fascinant, et une ambition visuelle certaine. Mais l’énergie se disperse, le souffle épique s’essouffle, et le film finit par ressembler à son sujet : une démonstration de puissance sans véritable charge émotionnelle. On admire la forme, on regrette le fond. Ni tout à fait instructif, ni réellement palpitant, ce duel historique mérite mieux qu’une simple étincelle.



BelaLugosi53
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le 3 juin 2025

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