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La France, et pas n'importe laquelle, celle du général de Gaulle

Le film est coloré, sucré et suranné comme un berlingot. Il s'agit de Wes Anderson dans tout son art ; fantasque, théâtral, chiadé. Il fait venir tous ses copains, un casting toujours aussi incroyable, tenant des rôles truculents et originaux, et les pose dans un décor délicieusement désuet, pastiche d'un mélange de Paris, style Montmartre bien sûr, et de Province (le film a été tourné à Angoulême), renommée pour l'occasion de manière pertinente en Ennuie-sur-Blazé. Comme quoi, habitant de la capitale, Anderson a bien cerné le caractère de la faune locale.


Bien sûr, la mise en scène est superbe, suivant le sommaire d'un magazine d'expatriés américains à Paris, ambiance Lost Generation, mais sans spleen à la Fitzgerald. On passe d'un article à l'autre, en entrant dans la peau de journalistes aux caractères loufoques. Nous voilà ainsi plongés dans quatre vignettes avec quelques passerelles entre elles, notamment cette ville fictive, la police, la défiance envers l'autorité, qui mêlent dessin, théâtre, décors factices, et situations étonnantes et loufoques. Certaines trouvailles sont excellentes et sont aussi parfois des hommages à d'autres films, le film reprenant à son compte le style de la Nouvelle Vague. J'ai aussi pensé à La Vie mode d'emploi de Pérec, une tranche de vie d'une ville française atemporelle, image d'Epinal, avec cette affiche faisant penser à une coupe d'immeuble comme dans le roman.


On aimera toujours ses apartés, ses détails, partout, jusqu'à des séances animées très sympathiques et bien faites, ainsi que toutes les petites madeleines rappelant la culture française jusqu'à se moquer des tentaculaires services de l'administration et prônant comme philosophie de vie, celle de la gastronomie, qu'il présente même comme le nerf de la politique. Anderson n'est pas dans le cliché, il capte l'esprit français, d'une certaine manière, mais il y a selon moi un biais, et j'y reviendrais.


Anderson là aussi fait du Anderson, obsédé par des symétries, des plans ascendants, reprenant au début de son film le même plan que dans The Grand Budapest Hotel, sur un immeuble haussmanienn biscornu et très théâtral, où l'on suit un serveur qui grimpe d'étages en étages, jusqu'à la rédaction du magazine, très bigarrée, colorée, fantasque, par rapport au paysage français dehors, gris et terne.


Anderson joue d'ailleurs de la couleur, alternant le noir et blanc et les plans couleurs palots, typique des années 70.


Car son film finalement oscille entre les années 50 et 70, dans une France fictive, traversée par le gaullisme et mai 68, dans un mélange d'anglais et de français pas désagréable. Son film s'inscrit dans cette charnière, mettant même en scène cette révolte à travers un tournoi de jeux d'échec entre la police et les étudiants, ponctué de barricades et de lacrymo. Certains ne manqueront pas d'y voir une certaine actualité, jusque dans le discours des personnages.


Mais la France dépeinte par Anderson n'a rien de moderne. Elle est douce, enfantine, un peu distante, comme un rêve. Les différentes pastilles et la farandole de personnages empêchent l'attachement et la continuité du récit et le film ne raconte finalement que l'exil d'un rédacteur en chef américain en France, jusqu'à sa mort, le film commençant et terminant ainsi. Les personnages de Léa Seydoux tout comme celui de Thimotée Chalamet ou celui de Lina Khoudry sont peut-être les trois seuls à laisser une impression. Les autres immenses noms du casting se cantonnent parfois à des brèves apparitions (comme Edward Norton, Christoph Waltz, Willem Dafoe), donnant ce sentiment que l'on assiste à des saynètes, cotonneuses, vaporeuses mais sans grand enjeu. Si par ailleurs Anderson s'intéresse dans son long métrage au théâtre et à ses effets, il ne bâtit pas une véritable dramaturgie, si ce n'est peut-être dans la première histoire, la meilleure, où un artiste peintre et meurtrier (Benicio Del Toro), condamné à perpétuité, parvient à trouver l'inspiration en couchant avec une de ses gardiennes. On passe un bon moment, très qualitatif, mais évanescent.


Puis, il y a un problème, inhérent au sujet du film, à savoir la France, et plus encore les Américains en France. Anderson a beau connaitre notre pays, il est resté dans les années 60, comme si depuis lors, le coeur français s'était arrêté de battre et tout n'était que désordre et laideur. C'est l'objet d'ailleurs de la première vignette du film, montrer que tout change et que rien ne change. Ce n'est peut-être pas totalement faux. Comme l'Italie, la France vit de son passé, de ses arts, de sa gastronomie. C'est le signe amorcé du déclin, car là où des pays d'Asie ou même les USA fascinent et où leur modernité, leur dynamisme est leur identité, la France inspire la tranquillité et l'amour des traditions. French art de vivre. Il est ainsi étonnant qu'un film traite de la révolte étudiante, en allant jusqu'à parler de thématiques actuelles comme les droits des femmes, mais soit aussi conservateur, dans sa copie du style des vieux films français, et dans la période et l'esthétique choisies. Il est étonnant de parler de mai 68 en adulant la France du général de Gaulle. OSS 117, mais plus intello.

Tom_Ab
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le 21 nov. 2021

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Tom_Ab

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