Je ne crois pas que d'inverser les genres dans les médias contribuent ou améliorent en quoi que ce soit au débat social. C'est pas la parité qui change quoi que ce soit, on l'a bien vu en politique. Et ce n'est pas parce qu'il y a un jour une femme présidente que l'oppression des femmes cesse. Cela se saurait !


J'adore The Full Monty. Je l'adore pour sa problématique ouvrière post-Thatcherienne et "multiculturelle" (les physiques et couleurs sont différentes, bien qu'ils se reconnaissent tous sous la bannière de l'Union Jack). En ces temps de strip-tease sur fond de dialogue social coquin avec le DRH d'Air France Xavier Broseta, The Full Monty est un étrange écho à la brutalité sociale distillée par le patronat. Je n'évoquerai donc pas cet aspect du film car c'est un film bien de son temps.


Mais si je devais le considérer d'un point de vue féministe, le film retombe à plat. Parce que c'est bien de cela dont il s'agit... Je veux dire que, si c'était un groupe de femmes qui se mettaient nues, le film aurait été taxé de misogyne (alors qu'en vrai, on voit ça tous les jours). Le film est un camouflet d'abord, parce que de nombreux films se sont déjà proposés de simplement remplacer les inégalités par d'autres. Ainsi il est tellement plus arrangeant de s'épargner la logique patriarcale le temps d'une soirée. "Le grand jeu", c'est un peu le sort que les capitalistes réservent à la journée de lutte et pour les droits des femmes : heureusement pour eux que ça ne dure qu'une journée ! Il était du même arrangement pour American Gigolo, Harcèlement sexuel, Kramer contre Kramer (et inversement avec A armes égales - flûte... je n'ai que des exemples américains en tête !) ; s l'on a pu justement parler de certaines problématiques de moeurs, c'est grâce à cette inversion assez nauséabonde car, disons-le : dans une société inégalitaire, ici comme ailleurs, comment voulez-vous que les sexes soient égaux ? Le jeu est pipé d'avance.


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Dans cette pub "rigolote", sur quoi joue-t-on ? On joue bien sur le terrain du genre ; sur le fait que le ménage appartienne bien à l'épouse et que l'époux crétin ne s'y met que parce qu'on lui met une carotte sous le nez. En plus, c'est oublier la fin de la pub : une femme objet qui se déshabille pour une bière. Rapport ???


Ensuite, dans The Full Monty, l'on parle très souvent que l'érotisme est la chasse-gardée des femmes. Nos héros se questionnent et sont complexés par cela (c'en est d'ailleurs très intéressant, bien que ces complexes reposent tous sur le fait de ce qu'est être VIRIL). Nos héros sont moqués puis plébiscités parce qu'ils font "la totale". D'ailleurs, petit aparté : il est assez amusant de constater que ce genre de danse est considéré comme viril dans le film... mais que ce soit considéré très connoté homosexuel en réalité (le film en fait état aussi). La totale... C'est ça qui intéressent soudainement les femmes dans l' "érotisme masculin" ? C'est de voir des bites qui divertissent et dansent ? Sauf que... Le film manque de jugeote mais comme il faut tout expliquer...


Le choix esthétique des hommes là, face à leur érotisme souvent considéré comme ridicule, c'est quelque chose d'important. La beauté chez les hommes est due à leur absolue banalité ? Tant mieux, s'ils ne sont pas gaulés comme des Chippendales. Cela aurait été des femmes, cela aurait peut-être un peu moins bien passé. En revanche, ce qui me touche particulièrement dans le film, c'est qu'on ait pris des hommes chômeurs. Car un homme qui ne travaille pas, ce n'est pas un homme (ce n'est pas un mari, un amant ni même un père, insinue-t-on). Tout le monde sait pertinemment que cette déconstruction de la virilité est salutaire, de même que tout le monde sait que les femmes sont autrement plus vulnérables que les hommes face à l'emploi... Et que c'est cette raison même qui les renvoie à leur condition de catin.


Dans la réalité, les femmes sont à divers degrés renvoyées à être des catins (dont des strip-teaseuses) ou à des êtres doués d'une sensibilité extraordinaire (artistes, photographe, dessinatrice, couturière) ou à des êtres doués pour s'occuper des autres (puéricultrice, infirmière, nourrice), tout ça parce que... elles n'ont cultivé aucun autre pouvoir au fil des siècles ET parce que... le patriarcat ne lui a laissé aucune autre domination en société. Il ne lui a pas laissé le choix de la gestion de leur propre émancipation. Qu'on parle de la sphère professionnelle, de la sphère politique, familiale, que l'on parle des hautes responsabilités, les corps et les esprits des femmes n'ont jamais eu de cesse d'être réduits et humiliés à l'état d'objet sexuel. Face à cette objectivation, l'inversion des sexes est un monde bien opportuniste et idéal...


Le renversement de la domination sexuelle peut permettre de comprendre certaines choses essentielles, mais seulement le sommet de l'iceberg, et seulement dans un laps de temps très court. Non, les causes de la domination masculine sont bien plus profondes que le simple rapport homme-femme inversé, surtout si, comme ici, c'est la reproduction à l'identique de la connerie inversée.


On peut s'en amuser, on peut faire de l'autodérision mais je sais aussi à quel point il est possible de manquer de distance même lorsqu'on verse dans l'autodérision (ce qui est chose très problématique que de se complaire dans l'autodérision pour valider telle ou telle comportement).


L'inversion des sexes n'est pas et ne peut pas être l'inversion des inégalités. Ce n'est pas qu'une simple affaire d'équilibre dans le rapport entre les sexes et les genres, c'est vraiment une affaire de système qui alimente ces déséquilibre... Et nous, quel que soit notre sexe, et encore plus si l'on est une femme, on est là à réfléchir et à composer avec cet état de fait, et nous nous contraignons à des non-choix. Et ici, ça sert paradoxalement à renvoyer, malgré l'audace, chacun à son genre. C'est une continuité.


En attendant "The Full Monty II : les gars ont trouvé du boulot", je vous souhaite davantage un grand soir plutôt que de sortir le grand jeu !

Andy-Capet
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le 8 nov. 2015

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Andy Capet

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