L’inattendu The Furnace s’impose directement par son cadre inédit. Pour l’une des premières fois dans l’histoire du cinéma australien, un western s’attaque au sujet des chameliers du désert, ces centaines de types venus d’Afghanistan, du Pakistan ou d’Inde afin de conduire les convois de dromadaires, seul moyen de transporter du matériel à travers des océans de poussière terrassés par le soleil. Parfois dans le décor, en tous cas cantonnés au second plan, ces types n’ont jamais vraiment intéressé le cinéma australien qui, déjà englué dans sa responsabilité vis-à-vis de la représentation des Aborigènes à l’écran, a détourné son regard de ces populations vivant sous le soleil australien, mais à l’ombre des colons britanniques. Le film suit donc un jeune afghan désespéré à l’idée de rentrer dans son pays d’origine, dont il ne connait presque rien. En fuite à travers le désert après qu’un Blanc ait tué son pote, Hanif va croiser la route d’un type blessé, seul survivant d’une bande ayant réussi à voler quelques lingots à la Couronne. Il va alors être possédé par cet or pouvant lui offrir un billet inespéré pour rentrer en Afghanistan et la route qu’il va emprunter va l’amener à devoir renier ses proches et sa famille adoptive. Dans cette descente aux enfers, on croise donc des communautés jamais représentées à l’écran, afghanes, hindoues et chinoises, qui sont au cœur d’un récit autour duquel volent les Blancs comme une nuée de mouches agressives. The Furnace est le premier long métrage de Roderick McKay et il impressionne par sa tenue formelle tout à fait impeccable et par son interprétation au poil avec, notamment, Baykali Ganambarr, découvert dans The Nightingale. On regrettera juste que l’intérêt que l’on porte à ces gens, leurs coutumes et leurs vies dans un pays en pleine colonisation, leur situation paradoxale, dans un no man’s land flou entre les Blancs et les Natifs, se dilue parfois dans une traque un peu plus convenue. Le sujet est si vaste et si fascinant qu’il alimente une frustration évidente face à un récit qui peine à traiter toutes les ramifications culturelles, historiques ou mêmes visuelles et narratives d’un tel sujet.
Si la question aborigène a été traitée dans un certain nombre de films, le destin de ces gens, les afghans, ou même les immigrés chinois, a été largement ignoré. Les communautés chinoises ou asiatiques sont constamment restées dans le second plan, brièvement aperçus dans dans des films historiques comme cuisiniers ou comme sous prolétariat s’agitant dans les mines d’or du sud ouest du pays (Mad Dog Morgan, We of the Never Never, Eureka Stockade) ou, plus récemment, et dans un cadre contemporain, à travers la description des réseaux de prostitution pour les mineurs de l’ouest (Goldstone). Au cœur du XIXème siècle, ils étaient pourtant 40.000 à l’époque de la ruée vers l’or, effectuant des travaux pénibles, traités comme des chiens.
Qu’ils soient afghans à traverser le désert, ou chinois à creuser la terre, le cinéma australien a là des sujets fascinants, jamais vraiment traité, des pistes narratives pratiquement vierges. La vivacité du western australien, relancé par le succès de The Tracker et de The Proposition, il y a une bonne quinzaine d’années, offre donc l’espoir d’en voir plus et d’arpenter de nouveaux territoires, encore dissimulés, ou oubliés, de l’histoire du continent.

MelvinZed
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le 15 juil. 2021

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