Alors qu’on pouvait considérer Se7en comme le réel premier film de David Fincher, celui-ci reniant lui-même Alien3 dont il a été dépossédé par l’interventionnisme excessif du studio, le coup d’éclat qu’est ce film lui donne les coudées franches et laisse augurer d’un avenir radieux. Son film suivant, The Game, sera sur ce point assez décevant, et on sent clairement qu’il récupère un scénario qui tourne depuis un moment dans les bureaux d’Hollywood. Certes, il contribue un peu à son développement, noircissant légèrement le tableau en épaississant le cynisme du personnage principal, et son aura suite au succès de Se7en lui permet de récupérer une tête d’affiche en la personne de Michael Douglas. Mais c’est à peu près tout.
Le film n’est pas dénué d’intérêt, et sa première vision, pour un jeune spectateur, peut ménager quelques effets. Récit d’une supercherie vidant à proposer un jeu grandeur nature à un homme si riche qu’il n’a plus rien à souhaiter, il offre à Douglas un rôle flatteur , celui du puissant qui va vaciller tout en gardant sa capacité à répliquer.
Le principe est bien évidemment, sur le modèle déjà abordé par Verhoeven dans son adaptation de K Dick avec Total Recall, de jouer sur une double lecture possible pour le spectateur : le personnage vit des événements qui peuvent appartenir au jeu scénarisé dans lequel on l’a embarqué, ou à un développement inattendu qui verra son réel reprendre le dessus. Chaque séquence devient le terrain propice à une suspicion, chaque lieu pouvant, dans le récit, être un décor en vue de la construction d’un subterfuge, chaque rencontre une figuration écrite à dessein. Ce regard lucide et paranoïaque, qu’on retrouvera exploité l’année d’après dans The Truman Show (et beaucoup plus récemment avec La Belle Epoque), permet évidemment bien des liens méta avec la construction de l’œuvre elle-même, et nul doute que Fincher a dû y voir un certain défi à ses ambitions de metteur en scène, de la même manière qu’il a projeté dans son personnage ses manies de control freak.
Mais tout cela reste pratiquement sur le papier. The Game est un film de scénariste, qui ne respire pas vraiment, et prend les rails de son récit bien calibré sans ambition autre. La faute à une absence de surplomb, de regard distancié qui aurait permis l’ébauche d’une véritable réflexion sur tout ce que ce sujet pouvait générer en matière d’esthétique et d’idéologie. Patience, Fincher fait encore ses classes à l’école du regard.