Les limites d'un virtuose hors de sa zone de confort

Au risque d'être dans la minorité, on va voir dans le très attendu Grand Budapest Hotel du virtuose Wes Anderson l'occasion pour le cinéaste de montrer pour la première fois ses limites. Des limites fort élégantes et distinguées, il va de soi, mais des limites quand même.


Pas en tant que réalisateur, car l’enchaînement interne et externe de ses scénettes est toujours aussi brillant ;
Ni de faiseur d'image, puisqu'à l'image de tous ses précédents films, TGBH est un enchantement graphique absolu, bourré d'idées originales, monument au bon goût par un esthète qui n'a plus rien à prouver ;
Ni de conteur, en témoigne la limpidité d'un récit à tiroir pourtant très bavard ;
Mais... de créateur d'histoires (au risque d'être vague).


TGBH possède toutes les qualités précitées, et bien d'autres encore, telles la performance d'un Ralph Fiennes qui méritait une meilleure carrière (oooh, Strange Days, pourquoi t'es-tu planté au box-office ?), ou l'emploi toujours ingénieux et truculent d'un casting cinq étoiles (Willem Dafoe en variante slave du Requin de James Bond est génial), tout ça, c'est bien, mais au final, il ne parvient simplement pas à intéresser (rapprochant mon avis de celui de Positif, pour une fois). En gros, c'est très bien, tout ça, mais on s'en fout un peu, et pour une raison essentielle : pour la première fois, Anderson sort de sa zone de confort, et ça se sent.


On ne trouve dans TGBH ni l'enivrant parfum d'enfance de Moonrise Kingdom, ni le sens de l'aventure du Darjeeling Limited ou de Mr Fox, ni la fulgurance pop-rock de Royal Tenenbaums (qui reste de facto son chef d'oeuvre), ni le cortège de défaillances familiales qui traverse son oeuvre diablement cohérente. Et ça se sent, TGBH n'étant ni aussi drôle, ni aussi émouvant que ses meilleurs films. La douce amertume de l'atmosphère et le tragi-comique droopiesque propre à son univers sont bien là, mais en mode économie, souvent endormis sous l'ambition du réalisateur de faire quelque chose de plus adulte et de plus sérieux que d'habitude.


Alors on voit où il veut en venir. On apprécie l'hommage à un monde et à un temps révolus. Mais ça ne fait pas un film. Ce qui aurait pu le faire, par exemple, c'est un choix de héros/narrateur mieux avisé. Quelque chose d'autre qu'un petit Indien apathique, illustration du manque d'inspiration dont a fait preuve Anderson sur ce coup : autant la version senior marchait dans The Royal Tenenbaums parce que c'était un personnage très secondaire et d'un comique muet parfaitement maîtrisé (fabuleux Kumar Pallana), autant ici, euh, non.


Alors, bon, on aime quand même, mais être déçu par un Anderson, ça fout quand même le moral à zéro.

ScaarAlexander
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mes sorties ciné 2014

Créée

le 18 mars 2014

Critique lue 327 fois

3 j'aime

4 commentaires

Scaar_Alexander

Écrit par

Critique lue 327 fois

3
4

D'autres avis sur The Grand Budapest Hotel

The Grand Budapest Hotel
Sergent_Pepper
8

Le double fond de l’air est frais.

Lorsque Wes Anderson s’est essayé il y a quelques années à l’animation, cela semblait tout à fait légitime : avec un tel sens pictural, de la couleur et du réaménagement du réel, il ne pouvait que...

le 27 févr. 2014

230 j'aime

23

The Grand Budapest Hotel
Veather
9

Read My Mind #2 : The Grand Budapest Hotel

Ami lecteur, amie lectrice, bienvenue dans ce deuxième épisode de RMM (ouais, t'as vu, je le mets en initiales, comme si c'était évident, comme si c'était culte, alors qu'en vrai... Tout le monde...

le 8 sept. 2014

174 j'aime

51

The Grand Budapest Hotel
guyness
9

Anderson hotel

Comme tout réalisateur remarqué, Wes Anderson compte quatre catégories de spectateurs: les adorateurs transis, les ennemis irréductibles, les sympathisants bienveillants et, beaucoup plus nombreux,...

le 28 févr. 2014

157 j'aime

68

Du même critique

The Guard
ScaarAlexander
7

"Are you a soldier, or a female soldier ?"

[Petite précision avant lecture : si l'auteur de ces lignes n'est pas exactement fan de la politique étrangère de l'Oncle Sam, il ne condamnera pas de son sofa les mauvais traitements d'enfoirés plus...

le 18 oct. 2014

35 j'aime

5

C'est la fin
ScaarAlexander
2

Ah ça c'est clair, c'est la fin.

Il y a des projets cinématographiques face auxquels tu ne cesses de te répéter « Naaaan, ça va le faire », sans jamais en être vraiment convaincu. This is The End est un de ces films. Pourquoi ça...

le 15 sept. 2013

33 j'aime

9

Les Veuves
ScaarAlexander
5

15% polar, 85% féministe

Avant-propos : En début d’année 2018 est sorti en salle La Forme de l’eau, de Guillermo del Toro. J’y suis allé avec la candeur du pop-corneur amateur de cinéma dit « de genre », et confiant en le...

le 2 déc. 2018

27 j'aime

12