Après Only Lovers Left Alive, un film ancré dans l'univers de son réalisateur Jim Jarmusch, le cinéma a accouché d'un autre film très marqué par l'imaginaire de son créateur : The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson. Cette œuvre est probablement la plus ambitieuse de la filmographie d'Anderson et elle était très attendue par rapport à son approche narrative et artistique : le réalisateur allait-il rester fidèle à lui-même ou au contraire allait-il s'éloigner de ce qui faisait son originalité ? Et le verdict est tombé : The Grand Budapest Hotel n'a jamais autant été un film de Wes Anderson.

The Grand Budapest Hotel est un bon divertissement. L'histoire est relativement simple et pas vraiment originale. En revanche, cette histoire passée à la moulinette Wes Anderson devient intéressante car la manière de raconter du réalisateur est unique, ses films étant discernables entre milles autres. Et le film n'échappe pas à la règle, l'aspect esthétique n'a jamais été aussi appuyé : le film est une prouesse technique. Les cadres sont confectionnés au millimètre près, qu'ils soient des plans fixes ou des travellings. Leur composition est d'une grande richesse, aucun détail n'est laissé au hasard et la symétrie est incroyablement développée, renforcée par le choix audacieux du réalisateur de tourner en format 4/3 ce qui est rare dans le paysage cinématographique actuel. L'explosion des couleurs est un autre aspect technique employé par Wes Anderson afin de se rapprocher de son univers très enfantin et de donner par moments le sentiment que nous sommes dans une maison de poupée. Ce sentiment n'est d'ailleurs pas sans rappelé son précédent film, Moonrise Kingdom, qui était dans le même style. Certaines scènes sont vraiment très agréables à regarder car elles fonctionnent très bien dans le style de la mise en scène, notamment l'évasion de Gustave avec les quatre autres prisonniers qui donne un côté presque daltonesque.
Le reproche que l'on pourrait faire au film c'est qu'il ne propose qu'un simple divertissement et qu'il n'a pas véritablement de fond. Le soucis ne se situe pas spécialement dans le scénario mais plutôt dans le dispositif filmique. Ce dispositif fonctionne très bien quand il s'agit d'exprimer un déroulement narratif car les axes de prise de vue et le rythme sont très originaux mais dès qu'il s'agit d'exprimer de l'émotion, ce dispositif ne marche pas. L'exemple de la scène où Gustave vient de s'échapper de prison et est récupéré par Zéro en est une bonne démonstration. Dans cette scène, Anderson nous en apprend un peu plus sur le passé très dur du lobby boy et tente du coup de développer une certaine empathie pour le personnage que l'on suit depuis le début. Simplement, on ne croit pas une seconde que Zéro a traversé des moments terribles pour en arriver au point où il en est actuellement, tout simplement parce que le dispositif du réalisateur est beaucoup trop distant. A force d'employer une mise en scène millimétrée tout au long du film, ce dernier perd en intensité dramatique et du coup est proche d'une certaine superficialité dans le traitement de ses personnages. Il aurait été intéressant de casser cette symétrie qui en devient presque oppressante, l'emploi d'une caméra portée ou aux mouvements plus libres aurait permis d'apporter de la légèreté et de se sentir plus proches des personnages. A titre de comparaison, Shining de Kubrick est l'exemple type du film qui allie cadrages millimétrés et cadrages plus volatiles dans une complémentarité qui frôle la perfection. Tout simplement parce ces deux façons de filmer se mettent réciproquement en évidence et évitent que le film soit victime d'une certaine superficialité.
The Grand Budapest Hotel est typiquement un film Wes Andersonien mais il va encore plus loin. La mise en scène n'a jamais été autant travaillée, le casting aussi riche et l'univers aussi originale. Il est presque dommage d'ailleurs qu'il y ait autant de stars car on se pose la question si certains ont été appelés pour incarner des personnages ou simplement venus faire un caméo. Et puis la plus grande déception est que l'on ne voit Bill Murray que quelques secondes !
Ceci dit cela démontre clairement que ce film est très ambitieux, il y a beaucoup plus d'actions que dans ses autres films à travers des scènes très réussies. Anderson se permet même d'intégrer une violence assez poussée et du coup surprenante par rapport à un univers plus enfantin qu'il avait l'habitude de nous proposer. On sent que le réalisateur arrive à un tournant dans sa carrière et qu'il essaye peut être de se rapprocher du monde adulte.

The Grand Budapest Hotel est un bon divertissement. Les spectateurs ''pro-Wes Anderson'' seront réjouis car le film est dans la droite lignée de leurs attentes. Cependant les autres spectateurs ne bouderont pas leur plaisir de voir une une œuvre originale, amusante et légère qui peut typiquement convenir à un visionnage entre potes, bières et bols de cacahuète. Le rythme délirant du film saupoudré par l'espièglerie de la musique de Desplat réussit à créer une narration très intéressante à suivre, même si malheureusement le film ne propose que ça. En poursuivant dans son propre univers, Anderson aurait pu nous livrer une œuvre trop attendue mais réussit le tour de force de nous surprendre. Son prochain film sera très intéressant car The Grand Budapest Hotel semble avoir atteint les limites de l'univers du réalisateur, il sera donc très intriguant de voir comment il orientera son traitement. On ne se fait pas vraiment de soucis car il a suffisamment de talent artistique pour nous surprendre une fois de plus. Dans un monde où la vision personnelle d'un réalisateur est de plus en plus difficile à exprimer pour un large public, Anderson apporte un grand rafraîchissement. On ne demande que ça.
Poupart
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le 5 mars 2014

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