The Grand Master, le dernier film de Wong Kar Wai, est sans doute son plus abouti. Celui aussi dans lequel il assume pleinement et sans honte son obédience au grand cinéaste italien Sergio Leone, tout en sachant garder son toucher personnel, sa pâte.

Loin de moi la velléité de déconstruire le film du point de vue technique, ou de vous faire l'insulte de vous dire où vous pourrez retrouver les références répétées au Sfumato et la Cène de Léonard de Vinci : la narration répond complètement aux codes des grandes fresques historiques, le montage est juste parfait, tant des images que du son. Et la lumière … C'est Wong Kar Wai, est-il besoin de le préciser ?

Au-delà du biopic de IpMan qui fût le maître à penser de Bruce Lee et d'un simple film de Kung Fu, je vois dans The GrandMaster aussi un film testament : Le metteur en scène y projette tous ses grands thèmes : Les amours impossibles et parfaites, la force de l'histoire et la fierté d'un peuple, cette volonté de plonger le spectateur au cœur du décor, là juste à côté de son personnage, pour partager son intimité, son secret. A l'image de cette relation entre Ipman et Gong Er, jamais clairement évoquée, pas même par eux, jamais totalement assumée et pourtant qui plane en permanence, dans la beauté exacerbée de Gong à travers ses yeux à lui, dans des regards volés par le spectateur, caché derrière un paravent ou une jalousie. Les hommes sont durs, et les personnages sont tellement typés que chacun d'eux aurait pu exercer un rôle de plus premier plan. Les femmes sont belles à tomber à genoux, et la fidélité des hommes d'honneur leur est absolue.

C'est d'ailleurs toujours derrière, en recréant des cadres dans le cadre, que Wong Kar Wai imprime sur l'image toute une suite d'hommages appuyés à Sergio Leone. Pas seulement dans la construction narrative, mais aussi et surtout dans le cadre : du plus petit détail d'un chapeau, d'une barre d'encens, à la caméra cachée derrière le voile pudique d'un rideau ou d'une persienne. Même dans le brio magistral de la scène de combat entre Gong et MaSan sur le quai de gare : la mise en scène impressionne pour ce véritable tour de force d'avoir fait se dérouler le combat tandis qu'un train n'en finit jamais de quitter le quai. Et cette fin mes amis cette fin ! Qui reprend pour notre plus grand bonheur le thème de Ennio Moricone dans Il était une fois en Amérique, comme une conclusion poétique et le signature finale de l'hommage...

Surtout en vous fiez pas à l'affiche. Elle est injuste par rapport au film, sans doute créée par des marketeux bornés qui s'imaginent attirer une audience prône aux films de combats. C'est justement en sortant de Goldorak contre Godzilla (pardon je voulais dire Pacific Rim) que je me suis dit « Je ne peux pas en rester là, ça va me pourrir la semaine si je ne vais pas voir un bon film tout de suite ». Et The GrandMaster fut exactement le film qu'il me fallait pour me redonner confiance dans le 7ème art, et me rappeler qu'il y a encore des gens inspirés dans ce beau métier.

Ne déconstruisez pas le film quand vous le verrez. Voyez-le ! Absorbez-le en vous laissant emporter, en acceptant le fait que vous allez être transporté dans un autre univers, un autre monde, une autre société. The GrandMaster risque de moins plaire au public occidental que In the Mood for love par exemple, et pourtant c'est du Wong kar Wai en maîtrise totale, c'est du Wong Kar Wai Grand Master.
MarcoSerri
9
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le 22 oct. 2013

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