C'est un film à l'image des paysages grandioses auxquels il tente d'échapper, âpre et désespéré. C'est surtout l'envers du décor à travers la condition féminine chez les pionniers et le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est pas reluisant et que l'on comprend bien vite que la légende s'est construite sur les cadavres des femmes.
Petit à petit, à travers quelques flashback saisissants, on est amené à aller au delà des apparences et à assimiler que les folles du film sont des femmes littéralement laminées par la rudesse incomparable de la vie de pionniers : l'isolement, l'hostilité du climat, le dénuement et la religion des hommes pour fermer le couvercle du cercueil. Trainées par leurs maris loin de tout, ces femmes finissent par ne plus supporter les grossesses à répétition, les morts prématurées des enfants, le labeur harassant et si peu productif et l'extrême manque de tout, y compris de liens humains et le tout bien verrouillé par une société centrée sur la force brutale de l'homme et la contrainte non moins brutale de la religion.


On a beau être effaré par la rudesse de l'ensemble, par la froide détermination de ces femmes meurtrières ou mutiques, on ne peut jamais s'empêcher de se dire que ce film ressemble nettement plus à la réalité de la conquête de l'Ouest que La Petite maison dans la prairie (même si — et c'est l'occasion de le rappeler — le récit original de Laura Ingalls Wilder est bien moins mignon que la série qu'on en a tiré!).


Après, bien sûr, il y a le voyage et donc la confrontation entre deux personnages intenses et forts, deux interprétations magistrales. L'homme fort du récit, c'est bien sûr Hilary Swank, non pas parce qu'elle est déterminée, mais parce qu'elle l'est malgré ses faiblesses. On entre à fond dans ce voyage initiatique dont nul ne ressort indemne, que ce soit les personnages ou les spectateurs, on apprécie les paysages à la fois somptueux et hostiles et on creuse méthodiquement toujours plus profondément dans les strates de la psyché humaine.


C'est un film éprouvant et beau qui ne sombre jamais dans la facilité et dont l'intrigue, à priori simple — ramener des femmes perdues à la civilisation — développe ses nombreux méandres avec un soin particulier et sait nous surprendre par des péripéties qui ne sont jamais ni téléphonées, ni improbables, mais toujours profondément surprenantes et marquantes.


Tout comme l'exigeait la démesure de ce continent de ceux qui prétendaient l'asservir à leurs besoins, ce film pousse méticuleusement les personnages et les spectateurs jusque dans leurs retranchements et sa petite musique grinçante nous poursuit bien longtemps après que les lumières de la salle se soient rallumées.


Du grand cinéma, donc, qui ne nous prend pas pour des demeurés et qui sait nous raconter une histoire.

AgnesMaillard
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le 18 janv. 2016

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Agnès Maillard

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