Quel que soit le registre investi (conte pour enfants, thriller...), la démarche entreprise par Bong Joon-ho est toujours muée par un même désir militant. Désir de porter des considérations d'ordre écologiques, sociales ou politiques, désir de redonner ses lettres de noblesse au cinéma populaire également. Chez lui, le cinéma diverti et amuse, mais il interpelle également. Comme c'est le cas avec The Host, film de monstre dopé à l'humour burlesque et au réalisme cru, qui se permet d'être aussi bien brûlot politique que fable humaniste.

Bong Joon-ho ne s'en cache pas, comme la plupart des Sud-coréens il a été biberonné au cinéma US et à ses popcorns movies ; et c'est bien à ce lien intime entre les deux pays que renvoi directement The Host : l'hôte du titre désignant aussi bien le virus résidant dans le corps du monstre que la présence US sur le sol sud-coréen.

Sans égaler l'excellence entraperçue dans Memories of Murder, la mise en scène se fait une nouvelle fois vive et incisive, investissant avec éclat les terres du blockbuster horrifique avant d'en détourner les fondamentaux. En ce sens, la manière dont le monstre est traité dans les premières séquences est significative de sa méthode. Les origines du monstre sont expédiées en une poignée de minutes et l'accent est immédiatement mis sur le rôle nocif de l'Oncle Sam au pays du Matin calme : l'Américain décide, le Coréen exécute, le pays souffre ! De même, contrairement aux règles instaurées par Spielberg, avec Jaws, il n'y a aucun suspense autour du monstre et de la menace qu'il représente. Sans détour, Bong Joon-ho nous exhibe sa créature, son allure repoussante et nimbe sa présence d'ironies mordantes.

La créature est là, suspendue à un pont, se fondant dans le décor avant qu'un groupe de badauds ne se décide à ouvrir les yeux et la remarque enfin ! La menace a toujours été là, tapie dans l'ombre, fondue dans le décor... l'allusion à la présence américaine se fait jour et va venir subvertir un discours que l'on imaginait un peu trop rapidement univoque. C'est là où Bong Joon-ho se montre particulièrement subtil : plutôt que de céder à la simple parodie, il va dénaturer les principes mêmes du blockbuster hollywoodien afin de donner chair à sa charge contre l'impérialisme US.

Tout est fait afin de garantir effroi et frisson comme dans un bon vieux popcorn movie : préambule anxiogène, avec ambiance nocturne et suicide énigmatique à la clé ; travail sur la photographie afin de potentialiser la dangerosité des décors (les égouts et leur cadre oppressant, la surface opaque de l'eau, induisant la sensation de danger...) ; exaltation de la dimension imprévisible de la bête (la créature qui surgit dans un arrière-plan habilement maintenu dans le flou)... on en prend plein les yeux et on pourrait se sentir en terrain connu si Bong Joon-ho ne venait pas contrarier nos habitudes en mixant les genres.

Si le film de monstre doit engendrer la peur, The Host, dans ses scènes fortes, lui associe le rire en guise de pied de nez ! Au moment où l'on si attend le moins, l'humour déboule au centre de l'écran, qu'il soit d'ordre burlesque (avec ce monstre pataud qui glisse ou se cogne la tête...) ou beaucoup plus noir (avec ce père qui sauve la mauvaise fillette, ces fuyards qui s'engouffrent dans un local aux portes fermées...). Il faut reconnaître que si son sens de la dérision donne lieu à des moments savoureux (la "séquence émotion" qui voit le grand-père endormir son assistance), il est parfois mal dosé et limite la portée de certaines séquences (les funérailles). Mais c'est surtout lorsqu'il se moque du modèle ricain (le soldat qui s'en prend à la créature avec une arme de fortune, le rôle de l'armée dans la désinformation de la population) que The Host sonne juste. Car ici, il n'y a pas de héros américain pour sauver le monde, juste une famille coréenne, surprenante et bigarrée, qui tente de retrouver Hyun-seo, la petite dernière, la représentante de la nouvelle génération.

C'est ainsi que la résistance de Bong Joon-ho s'opère, en refusant le tout spectaculaire et en se rapprochant de ses personnages, il fait évoluer son film de monstre vers une fable humaniste hautement plus signifiante.

Comme dans Memories of Murder, il se sert de l'anormalité comme révélateur. Ici la présence du monstre va venir mettre en lumière les exactions humaines, celle des Américains bien sûr, avec des allusions nombreuses et évidentes (les liquides toxiques qui détruisent la nature comme la bombe nucléaire, l'agent jaune qui renvoie à l'agent orange utilisé lors de la guerre du Vietnam...), mais surtout celle des Coréens. Et on ne peut pas dire que Bong Joon-ho soit tendre avec son propre pays, fustigeant une classe dirigeante compromise, mettant en avant son inefficacité de manière directe (on traque la famille plutôt que la créature) ou finement symbolique (les téléphones portables qui défaillent).

Mais c'est surtout en redonnant sa place à l'humain, que Bong Joon-ho donne à The Host toute sa saveur. Si le monstre est le symbole de la négligence humaine envers la nature, Park, le père un peu simplet, est le fruit d'une autre négligence, moins spectaculaire mais pas moins importante, qui est celle des parents envers leurs enfants, qui est celle d'une société envers les plus faibles. Les exclus sont nombreux dans The Host (Park, son frère diplômé et chômeur, le SDF, les salariés qui se résignent à la dénonciation rétribuée ou au suicide) et c'est leur union qui sera la clé du succès. C'est la communion des solitudes, la combinaison des forces, qui permet de terrasser le monstre. Avec The Host, le super héros US est obsolète, c'est la communauté qui est spectaculaire et extraordinaire.

Procol-Harum
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le 19 mars 2023

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Procol Harum

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