Film vu dans le cadre du festival "Hallucinations Collectives"

Film de la sélection "Cabinet de curiosités.


Il est un lieu de nos sociétés qui symbolise peut-être plus que tout autre cette peur universelle de la prise de contrôle de nos individualités par une entité administrative, étatique, autoritaire, inerte et aveugle, c'est l'asile. Ces lieux matière à tous les fantasmes cauchemardesques, que nombres d'œuvres culturelles ont dépeints comme monstrueux, inhumains, des antichambres de l'enfer sur terre. Le cinéma horrifique regorge d'exemples, mais pas uniquement, on retrouve ce motif dans des œuvres appartenant au thriller, au film social et même dans la pop culture. L'iconographie presque surnaturel de l'asile Arkham dans l'univers Batman illustre parfaitement cela.

S'il faut avancer des pistes de réflexions - par nature incomplètes - à cette image encore majoritaire dans l'inconscient de beaucoup, on pourra parler du traitement des maladies mentales, qui encore aujourd'hui malgré d'énormes progrès, demeurent le parent pauvre de la médecine moderne. Mais on pourra aussi souligner le rôle d'isolement des individus les plus opposés à des régimes totalitaires qu'ont eu ces lieux à de nombreuses époques et en de nombreux endroits. L'invisibilisation par l'enfermement sur des motifs d'aliénation de l'individu permettant à la fois de se débarrasser d'un gêneur, tout en discréditant auprès de l'opinion publique son discours subversif, sans oublier la vertu de l'exemple. Il ne faudrait pas non plus oublier le caractère misogyne et qui lui aussi visait à maintenir un système patriarcal érigé en valeur cardinale, les innombrables cas d'enfermement de femmes aux aspirations d'émancipations et de possessions de leurs corps trop en conflit avec la norme prônée par la classe dominante, l'homme, qui n'avait pas trouvé meilleur alibi à cette aspiration féministe que le diagnostic de l'hystérie.


C'est sur ce canevas que le Mexicain Juan Lopez Moctezuma s'appuie pour peindre un sombre rêve éveillé. Peuplé de figures, dont l'angoisse nait du flou qu'elles dégagent entre une supposée folie d'ordre clinique et la réalité de cette folie. Lorsque Gaston Leblanc, journaliste de son état, débarque dans cet asile du sud de la France pour y rencontrer son directeur, les rencontres successives qu'il y fait, tout comme les méthodes thérapeutiques iconoclastes appliquées ou la sensation d'un anarchisme total finit par inséminer aussi bien en lui que dans l'esprit du spectateur, qu'il y a quelque chose de malsain et de potentiellement dangereux qui se trame en ces murs.


Quand il découvre l'existence d'une itération du Tartare de la mythologie grecque, cet enfer au cœur de l'enfer, sous la forme d'un donjon où sont encagés les éléments considérés comme irrécupérables, incurables, l'étrange sérénité qui étreint les êtres retenus ici - sédation forcée ou résignation qu'importe - attise cette impression d'un malaise, que quelque chose ne va pas. Les fous sont ils ceux qu'on croit ?


Réalisateur du symbolisme, que Alejandro Jodorowsky lui-même citera à de nombreuses reprises comme particulièrement influent sur sa propre œuvre, Moctezuma joue malicieusement avec les héritages culturels et un syncrétisme des croyances poussé à son paroxysme. Il est bon de préciser qu'il est tout à fait courant dans la culture mexicaine et je dirais d'Amérique latine en générale d'avoir enchâssées les croyances apportées par les conquistadors et les évangélistes catholiques et les croyances héritées des ancêtres incas, mayas, olmèques, aztèques, précolombiennes et parfois même ci et là des résurgences des mythes et légendes africains débarqués avec les esclaves. Cette assimilation et accumulation fait qu'on peut tout à fait, sortir d'une lecture très concrète du film uniquement basé sur son postulat déjà très riche, pour se lancer dans une lecture plus ésotérique et symbolique du film. A l'instar des films de Jodorowsky ou d'un film de Wojciech Has La Clepsydre avec qui il me parait dialoguer sur bien des aspects. C'est un film qui déborde de signes, de matières à analyses rationnelles ou pas, qui dans ses choix de couleurs, d'objets présents dans le cadre, d'incantations choisies, va provoquer votre imaginaire, qui va tel un cabinet de curiosités ouvert sans explications vous obliger à créer ces explications.


En résulte quelque chose qui moi m'enthousiasme, la surinterprétation ou son contraire, parfois au même instant, l'absence d'interprétation et la réception purement sensorielle d'un plan, d'une scène. J'ai déjà pour d'autres films qui jouent eux aussi sur les diverses possibilités de lectures et de compréhension qu'ils autorisent souligné mon affect et mon appétit pour ce genre d'œuvre terreaux à l'imaginaire. Ces films qui laissent à chacun la possibilité d'y apporter sa sensibilité, ces œuvres qui font s'arracher les cheveux aux plus cartésiens d'entre nous, mais qui moi me procurent un plaisir viscéral et une émotion profonde. Même si dans ce cas précis, nos amis terre à terre, qui doivent absolument régler leurs conflits cognitifs pour adhérer à une proposition, pourront apprécier le film sur son simple déroulé narratif, car le récit est construit sur un schéma classique d'un début, d'un développement et d'une conclusion qui vient répondre à la question posée plus haut et s'affranchir des sous textes symboliques et des lectures ésotériques portées par sa faconde direction artistique.


Psychédélique, surréaliste, avec un soupçon d'esprit libertaire une proposition irrévérencieuse et esthète.

Spectateur-Lambda
8

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Créée

le 5 mai 2025

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