Oh crazy world, crazy world, yeah...

The Neon Demon est un film intéressant. Il t'apparaît ainsi quand tu regardes son affiche. Il te le paraît plus encore lorsque tu visionnes sa bande-annonce. Et lorsque enfin tu passes à l'acte et regardes le film, tu le découvres tout aussi intéressant qu'il s'était annoncé. Ni plus, ni moins pourvu d'intérêt que ce qui se laissait présager: pile le taux d'intérêt (intérêt moyen-haut) que tu escomptais.


La réalisation est porteuse de sens, c'est une des forces de l'objet. Imprégnée de couleurs "glamour", elle reste pourtant extrêmement froide, et le réalisateur ne lésine pas sur les plans crus avec des couleurs blanches ambiance laboratoire ou boucherie charcuterie. S'enchaînent des plans et des scènes où l'on voit les corps des personnages (féminins, ça va de soi) découpés, recousus, tailladés, saignés à bloc et dont les corps refaits sont montrés sous toutes les coutures, au point que l'on finit par penser à un documentaire sur les abattoirs. Seule l'héroïne, belle naturellement, est moins exposée que les autres à cette "découpe" mais l'avancée de l'histoire prouve qu'elle non plus n'y échappera pas. Il y a bien entendu le personnage de Ruby, la maquilleuse, mais elle, c'est différent: elle n'est pas la découpée mais la découpeuse; elle est est de ceux qui façonnent ces corps, morts ou vifs, et leur vouent une fascination morbide


(en atteste son autre métier à la morgue, où dans une pièce plus blanche que jamais, elle s'adonnera au péché de chair avec un de ses corps...)


Même vivantes, cependant, les mannequins du film sont des animaux; mais attention, pas des animaux libres et sauvages, qui dérangent le spectateur: non, des animaux d'élevage, dressés, contrôlés, à la sensualité artificielle, auxquels on a donné l'ordre expresse et blanche-neigien d'être la plus belle. Et de le rester. Par tous les moyens.


De par sa progression, le film démontre parfaitement cette thématique: il démarre dans une réalité plutôt crédible, où l'héroïne orpheline débarque à Los Angeles, trouve tant bien que mal un logement dans un motel et se présente à une prestigieuse agence de mannequinat. Au départ, il alterne les scènes du "monde extérieur", filmées sans coloris particulier, où l'on montre un peu la vie quotidienne de l'héroïne et de ses collègues en-dehors de leur métier, et les scènes de "leur" monde, un univers sombre et onirique avec ses couleurs rose-violet-bleu pailleté et ses règles bien spécifiques. Puis passé la première demi-heure, le second univers déteint sur le premier (la panthère dans la chambre de l'héroïne, sa blessure à la main qui la fait s'évanouir dans sa chambre) et soudain, c'est le drame. A partir de ce moment, le film et ses personnages sombrent dans la folie et l'irréalisme les plus absolus, et n'en ressortiront jamais. Ils sont de plus en plus repliés sur eux-mêmes, et les dernières traces d'humanité qui subsistaient en eux disparaissent. Le film exploite beaucoup (et très bien) la perte de repères entre l'imaginaire et la réalité, (représentée entre autres par les miroirs et multiples jeux d'ombre et de lumière), et achève de se tordre dans les angles les plus étranges dans son dernier quart d'heure, laissant les quatre protagonistes principales détruites par leur délire.


Mise en scène, thématiques, traitement des thématiques: comme je l'ai dit plus haut, très intéressant. Le scénario de base reste assez classique, voire banal: la-jeune-et-gentille-fille-innocente-qui-n'a-pas-réellement-conscience-de-sa-beauté-débarque-dans-un-monde-fermé-mais-très-prestigieux-où-elle-suscite-le-désir-aussi-bien-que-l'envie-et-se-détruit/-pervertit-au-contact-de-ses-nouvelles-relations-qui-n'en-feront-qu'une-bouchée: cet archétype de synopsis a déjà été utilisé de nombreuses fois (entre autres dans les romans des XVIIe-XVIIIE siècles), donc rien de bien nouveau. Les personnages sont tout aussi archétypaux: l'innocente nouvelle venue donc, les aguerries qui tremblent de peur devant la relève, le gentil type "utilisé" par l'héroïne pour le début de son ascension mais qui se fait jeter aussitôt qu'elle n'en a plus besoin...seul le personnage de Ruby se démarque du lot, aussi bien de par son physique plutôt ordinaire (presque masculin, par moments), que par son allure plus affirmée, son rôle dans l'histoire et sa relation vis-à-vis de Jesse, son attitude de camaraderie envers elle qui se transformera en tentative de séduction presque effrayante. Mais il est vrai qu'au final, ces protagonistes, quels qu'ils soient, se retrouvent tous sur le même plan, celui de la démence (enfin, les personnages féminins surtout...les hommes du film disparaissent l'un après l'autre dès lors que le film commence à prendre un caractère chimérique). Donc ce côté-ci du film n'est pas vraiment à déplorer.


En résumé, un film que j'ai pris plaisir à voir en tant qu'analyste. En tant que simple spectatrice, je n'ai pas été plus emballée que ça; j'ai même été un poil déçue; le film contenait certes du morbide à petites doses, mais n'était pas le grand film sombre, hypra-pervers et machiavélique auquel je m'attendais. C'est loin d'être un mauvais film; The Neon Demon est bon à sa manière et a déjà une place de réservée sur mon étagère. C'est simplement le genre de film qu'on prend moins de plaisir à regarder avec son cœur qu'avec son cerveau.

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le 30 mars 2017

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Dany Selwyn

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