Nicolas Winding Refn continue de bâtir son univers cinématographique. Hué, massacré par la critique sous jurons faciles, The Neon Demon est un film qu'il est en effet facile de balayer, autant pour la simplicité de son pitch que pour la lecture qu’en donne son auteur, n’en loupant pas une pour se faire détester. Pourtant, The Neon Demon est avant toute chose une proposition de cinéma suffisamment iconoclaste pour qu’elle entraîne autre chose qu’un dédain malpoli. Toujours aussi clivant, toujours aussi fascinant pour les uns que détestable pour les autres, il n’en demeure pas moins que le film développe sa propre grammaire pour explorer l’univers de la beauté à travers le prisme du surréalisme glacé.


Le réalisateur danois va s’appuyer sur un récit extrêmement simple et naïf, opérant divers traits grossissants sur cet univers de la mode. Un point d’ancrage quelque peu futile (quelle portion du public s’intéresse réellement à l’envers du décor du mannequinat ?) lui permettant toutefois de développer une réflexion universelle, sous forme d'une fable moderne. Des sorcières représentées ici comme des poupées de cires, une princesse intouchable, un ogre gérant d'un vieux motel, et un prince charmant, donc les intentions deviennent ridicules dans cet univers plein de paillettes et de faux semblants. Autant dire qu’il s’agit d’une œuvre dense, non pas par son récit finalement très basique dans sa progression, et s’appuyant sur des mythes bien spécifiques, mais dans l’univers symbolique qu’il se réapproprie pour créer son propre mode d’expression. On sent évidemment chez le réalisateur danois une ambition assez folle de livrer un film définitif sur le concept philosophique de la beauté, et il le met en scène à travers une odyssée se basant sur un esthétique qui ne peut que déstabiliser et frissonner le spectateur.


The Neon Demon établit en quelque sorte un jalon en terme d’esthétique, traduisant cinématographiquement certains codes étroitement liés à la beauté fugace des mannequins. Chaque plan déborde d’une beauté empoisonnée traduisant parfaitement ce qui se déroule à l’écran. Entre l’utilisation d’objectifs créant une illusion d’images retouchées et glacées, le glissement progressif entre une esthétique de thriller lambda et une forme de cauchemar surréaliste, la construction rigoureuse de cadres emprisonnant les personnages dans leur condition (d’objet de convoitise, d’insatisfaction et de cupidité, de domination voire de menace), The Neon Demon traduit son discours par l’image plus que par une narration classique qui finit par s’évaporer complètement. C'est là qu'on pourrait n'y voire qu'une vulgaire expérience cinématographique vaine, qui n'est que de la poudre aux yeux, mais je pense que le message va beaucoup plus loin.


Il y a une volonté de mettre en scène la philosophie de la beauté, dans un univers certes très superficiel mais qui va de ton avec ce qu'il se déroule dans le film, cette descente aux enfers qui termine dans le ton le plus malsain possible. Le conte cruel tentant de cerner la complexité de ce qu’est la beauté au sens philosophique (il en effleure un large champs des paradoxes) vogue également vers une forme de cynisme au moment d’aborder la vacuité des icônes modernes, que Refn considère ouvertement comme de dangereuses impostures.


Il y a donc à nouveau quelque chose d’hypnotique dans la façon qu’a Nicolas Winding Refn d’établir son discours par une imagerie intense, quelques séquences créant un certain malaise, dans les nappes électro d’un Cliff Martinez en très grande forme, et de personnages reflétant chacun une humeur malsaine, dans un univers dépourvu de toute moralité. The Neon Demon reste tout de même un film coup de poing qui marque une avancé dans le cinéma de Refn, qui, dans cette superficialité du pitch et de l'histoire, proposer un cadre monumental, racontant une autre histoire rien qu'à travers l'image. Un film pas vraiment aimable au premier abord mais dont l’odyssée cauchemardesque s’avère tout aussi passionnante et sensorielle que celle des précédents héros du réalisateur, qui trouve par ailleurs en Elle Fanning une merveilleuse matière filmique à sculpter et à déconstruire, comme en témoigne la prodigieuse séquence du défilé, pure projection mentale.

Guimzee
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le 10 juin 2016

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