Le rendez-vous fixé tous les deux ans par Wes Anderson au Festival de Cannes, et le fac-similé des procédés du réalisateur reproduisant sa singulière patte de films en films, pourrait donner au critique l’idée d’une vengeance : copier-coller le texte écrit à l’occasion du film précédent.

Avec Wes Anderson, c’est désormais la tradition qui prime : ce qui put avoir la fraîcheur de la singularité durant la première partie de sa carrière est devenu un programme, dont la rigueur n’a d’égale que sa mise en scène au cordeau. L’esthétique du cinéaste est toujours admirable, et la fréquentation de son univers plutôt agréable : tout est à sa place, planifié, organisé, en symétrie, colorisé avec ce pastel vintage qui n’agresse jamais la rétine, au gré d’une mélodie constate venant souligner le charme suranné et délicat de ce petit univers en vase clos.


Du plaisir sans surprise, donc : des retrouvailles, un protocole, la pérennité d’un savoir-faire. La direction artistique de Wes Anderson (humour à froid, impassibilité des visages, précision des mouvements latéraux de caméra ou des travellings se posant sur chaque personnage prenant tour à tour la parole) contamine l’œuvre, maison de poupée rutilante mais dévitalisée. On pouvait pourtant s’attendre à certains frémissements, dans un début où l’on commence par torpiller le capitalisme destructeur et où la ligne claire se laisse éclabousser par quelques giclures d’hémoglobine. La famille, toujours au cœur des préoccupations du cinéaste, pourrait déséquilibrer par ses failles la symétrie ambiante, et le personnage de Cera n’est pas dénué de charme. Mais l’ensemble ronronne rapidement dans une intrigue à la linéarité pénible, où les cartons cochent des quêtes accomplies, métaphore parfaite de l’écriture de Wes Anderson : accumuler les rencontres (c’est-à-dire les caméos), multiplier les décors factices (dont ce vain et redondant paradis en noir et blanc) et construire une fable où, visiblement, certains cœurs qui ne sont pas les nôtres commencent à battre. Dans ce cabinet de curiosités de l’homme le plus riche du monde, dans ces boites et dans ces trajets, l’emotional gap est la quête ultime : un gouffre dans lequel on aimerait bien voir s’abimer un peu la perfection désincarnée du cinéma de Wes Anderson à l’avenir.

Sergent_Pepper
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Rumeurs Cannes 2025, Vu en 2025, Vu en salle 2025 et Festival de Cannes 2025

Créée

le 28 mai 2025

Critique lue 2K fois

72 j'aime

8 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 2K fois

72
8

D'autres avis sur The Phoenician Scheme

The Phoenician Scheme
EricDebarnot
7

Face à la violence du monde…

Il est loin le temps où le cinéma de Wes Anderson faisait l’unanimité critique, et arrivait même à remplir correctement les salles de cinéma (Européennes, surtout…) : l’émerveillement général devant...

le 31 mai 2025

31 j'aime

9

The Phoenician Scheme
Plume231
4

Plans fixes, cœurs figés !

Bon, je crois que pour ce qui est de ses longs-métrages, Wes Anderson n'y arrive plus. The Phoenician Scheme ne fait que me confirmer ce que j'avais déjà perçu devant Asteroid City. Alors, son...

le 29 mai 2025

29 j'aime

15

The Phoenician Scheme
Anazazel
6

Wes Anderson Scheme

Une nouvelle fois, Wes Anderson toujours décoré de cette singularité aux charmes inimitables, et malencontreusement, constamment secondé dans l'ombre par cette fâcheuse et obsessionnelle redondance,...

le 19 mai 2025

24 j'aime

4

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord de...

le 6 déc. 2014

779 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

730 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

628 j'aime

53