The Place beyond the Pines : pères manquants, fils manqués

Cette saga familiale réunit un casting impeccable et pose avec lyrisme la question très américaine de l’origine et de la transmission au masculin sur fond de décor naturel et de forêt. D’un tryptique improbable, mêlant trois récits sur deux générations, Derek Cianfrance (Blue Valentine) tire un film habilement construit et d’une grande unité non pas diégétique mais narrative. Sa réussite est sans doute d’enchaîner des séquences et de passer d’un personnage à un autre sans donner une seconde le sentiment au téléspectateur de perdre le fil d’une histoire dont le thème central est la filiation paternelle, comme un poids trop lourd, et le cadre unique, Schenectady ("l'endroit sous les pins") , une petite ville de l’Amérique profonde, à la fois bien réelle et mythologique.

La séquence initiale, thriller mélodramatique, met en scène Luke, un Ryan Gosling tatoué, aussi mutique que dans Drive, en motard virtuose trompe-la-mort de fêtes foraines, qui se découvre père par accident et finit par monter au braquo pour occuper maladroitement, douloureusement, cette place qui lui a tant fait défaut. Eva Mendès en serveuse de bar latino, est tout à fait solaire, gracile et lumineuse de naturel, entre son élan pour le père de son fils Jason, mauvais garçon à la dérive, et un compagnon black rassurant et bien sous tous rapports. Une scène forte voit Luke assister au baptême de Jason depuis le fond de l’église et verser une larme, déjà tatouée sous son œil, sur son enfant qui n’est plus le sien et sur son enfance perdue.

La seconde séquence, façon Cop Land, sur fond de flics véreux (Ray Liotta) et d’élection du procureur, est construite autour d’Avery Cross, un flic, joué par Bradley Cooper, excellent lui aussi, fils de son juge de père, qui hésite entre l’intégrité morale du policier et les habilités politiques de l’avocat, entre sa conscience et son ambition, et qui surtout ne se remet pas, faux héros d’un jour bouleversé par la culpabilité, d’avoir interrompu la trajectoire tragique de Luke.

Le film se termine ou recommence par le face à face trouble entre les deux fils des personnages précédents, chacun à sa façon en quête d’une figure paternelle qui toujours échappe, soit déficiente avec un Avery happé par sa carrière et incapable d’élever son fils AJ, violent et manipulateur, soit disparue, avec Luke, père caché et mystérieux que Jason, fragile et déterminé, finira par découvrir en prenant lui aussi la route sur une vieille moto.

Derek Cianfrance explore avec talent les ambivalences de la paternité, cette passion violente et tendre, qu’il résumait ainsi: "Je me demandais quel genre de figure paternelle j’étais, et ce que j’allais transmettre à cet enfant. Et puis je me suis mis à penser à cette flamme qui m’anime depuis aussi longtemps que je m’en souvienne. Elle m’a aidé à réaliser beaucoup de choses dans la vie. Mais parfois, c’est également une force destructrice et à l’origine de souffrances".
Jean-MaxenceGra
8
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le 24 mars 2013

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Jean-MaxenceGra

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